Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Méditation sur le dignité humaine

On en parle, mais on n'en dit rien !

Du juriste Olivier Cayla :

"Dignité humaine: le plus flou des concepts …

Toute dispute consacrée au point de savoir sʼil convient de légiférer sur les questions 'de société' sʼarticule aujourd'hui autour dʼun argument unique : la 'dignité de la personne humaine'. Depuis quelques années, la référence rituelle à ce concept éthico-juridique semble en effet suffire à résoudre tout problème de définition de nos valeurs sociales fondamentales. Imagine-t-on pourtant un concept plus flou ? Dispose-t-on au moins des critères permettant dʼidentifier, parmi ses diverses interprétations possibles, celle qui apparaît à coup sûr comme étant 'la meilleure' ? (…) Au fond, le principe de « dignité de la personne humaine » présente toutes les caractéristiques de cette formule fixe mais vide, de ce « signifiant flottant », de cet « abracadabra », dont la profération liturgique accompagne lʼédiction de toute loi, pour fonder symboliquement lʼautorité de celle-ci grâce au ressort magique de sa forme sacrée."

Après Marc-Aurèle qui parlait de la dignité d'un homme (ce qu'il y a de plus admirable en lui, ce qui fonde son honneur et sa vertu), c'est sans doute Jean Pic de la Mirandole qui généralisa le concept : la dignité humaine, commune à tous les hommes. Depuis cette fumeuse "dignité humaine" est devenue un droit universel imprescriptible.

Comme presqu'à chacun de ses articles, la "Déclaration universelle des droits de l'homme" est tombée dans le panneau des slogans sans fond et des concept sans fondement ; ainsi en son préambule, on lit : "Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine (…) constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde, (…)", et ainsi en son article premier : "Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité (…)".

Cette notion de dignité humaine pose deux questions :

  1. Pourquoi seulement humaine ? Pourquoi ne pas étendre cette "dignité" à tout ce qui porte sensibilité, mémoire, intelligence, volonté et conscience, bref à tout ce qui vit ? Un arbre qui produit gratuitement des tonnes d'oxygène frais par an n'est-il pas plus digne de respect et de soin qu'un cirrhotique ivrogne humain qui bat sa femme et viole ses enfants ?
  2. Pourquoi ce même ivrogne immonde devrait-il jouir de la même dignité et, donc, respect, qu'un Adolf Hitler ou qu'un Albert Einstein ?

L'étendard de la "dignité humaine" est aujourd'hui brandi à tout-va dès lors que l'on parle de prostitution, d'euthanasie, d'usage des drogues, d'avortement, de clonage, de déviances et perversions sexuelles, de violences conjugales ou autres, de soumission islamique de la femme, etc …

Loin de moi, de nier l'importance de ces problématiques, surtout à l'heure qu'il est où elles prennent des ampleurs inquiétantes. Mais je ne crois pas que ce concept "flou" et "bateau" de "dignité" soit d'une quelconque utilité pour les résoudre.

Je pense que l'on peut trancher le problème en définissant la dignité comme ce qui mérite le respect : on est digne lorsqu'on est digne de respect. On évacue ainsi le flou de la notion de dignité vers la notion de respect. Certes. Mais, on tombe là de Charybde en Scylla … si l'on ne définit pas, avec soin, la notion de respect.

Qu'est-ce que le respect ? Qui mérite respect ? Qu'est-ce qui, chez lui, mérite respect ? Et pourquoi ? Peut-on être digne de respect dans l'absolu ? Le respect que me rende des crapules ou des crétins, fait-il de moi un homme digne et respectable ? Est-ce dans les yeux des hommes (lesquels ? avec quelle statistique ? avec quelle durée ?) que l'on trouve la vraie dignité et le vrai respect ?

Observons que les politesses, courtoisies, courbettes, protocoles, codes de civilités, … humains participent de l'hypocrisie sociétale qui exploitent des "marques de respect", mais qu'ils ne sont que très rarement des expressions profondes d'un respect vécu et authentique. Alors ?

Au-delà de ces conventions et convenances humaines (qui doivent aussi être ressuscitées d'urgence si l'on veut que la vie quotidienne redevienne un peu vivable), la notion de "respect" est très fortement liée à la notion de "sacré" : chacun respecte ce qui, pour lui, est sacré.

Mais cette idée du "sacré" est également assez floue. Elle renvoie, trop souvent, vers des considérations religieuses, vers l'idée de sainteté (tant au sens religieux du catholicisme qu'au sens philosophique du taoïsme). Qu'est-ce qui est sacré pour chacun ? Qu'est-ce qui est "universellement" sacré ? La boucle risquerait de se fermer si l'on disait : est sacré (pour soi) ce qu'on respecte le plus ; ou bien il faut alors expliciter : c'est-à-dire ce qui est, pour soi, le plus essentiel, le plus fondamental, ce qui est le fondement, ce qui fonde l'existence et lui donne sens et valeur !

Est digne de respect, est sacré, est saint ce qui fait sens et ce qui fait valeur, ce qui engendre du sens spirituel et ce qui engendre de la valeur existentielle.

Et cette source de sens et de valeur, pour sacrée qu'elle soit, n'est pas à chercher dans l'homme, mais bien au-dessus et au-delà de lui. Ancrer la dignité de l'homme en lui-même, pour lui-même, par lui-même revient à hisser une sordide tautologie au rang de principe fondamental, c'est-à-dire à amplifier l'apologie du nombrilisme et du narcissisme humains … qui n'en ont guère besoin.

Le dignité de l'homme est en dehors de l'homme. La dignité de l'homme s'établit dans sa contribution active et volontaire à la Vie et à l'Esprit.

La dignité, le respect, la sacralité et la sainteté ne sont pas des droits de l'homme ; elles se méritent personnellement et exclusivement par les œuvres.

Marc HALEVY, 7/1/2019