Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Dépasser le sujet

Nietzsche, dans "Ainsi parla Zarathoustra", l'affirmait avec force et constance : l'humain est quelque chose qui doit être dépassé.

Il y a une chaîne de doctrines qui constitue l'épine dorsale de toute la Modernité et qui, aujourd'hui, s'effondre peu à peu : humanisme (Erasme, Montaigne), rationalisme (Galilée, Descartes), criticisme (Kant, Hobbes, Montesquieu), matérialisme (d'Holbach, Helvétius), positivisme (Comte), utilitarisme (Bentham, Mill), scientisme (Laplace, Condorcet, Darwin, Dawkins), nihilisme (Stirner, Marx, Feuerbach, Freud), phénoménologisme (Husserl, le premier Heidegger, Gadamer), existentialisme (Kierkegaard, Levinas, Merleau-Ponty, Sartre, Beauvoir), analycisme (Frege, Russell, Rawls), droit-de-l'hommisme (Rousseau, Champion de Cicé, Grégoire, Mirabeau, Danton, Marat, Roosevelt, Cassin).

Toutes ses doctrines peuvent être, grossièrement, ramassées et rassemblées sous la dénomination de "philosophies du Sujet" qui reposent sur l'idée qu'il existe une "transcendance humaine", c'est-à-dire l'idée d'une distance irréductible entre le sujet et l'objet, et l'idée d'un statut spécial pour l'humain face au reste du monde.

Cet "humanisme" généralisé fut la clé de voûte de toute la Modernité qui s'étiole sous nos yeux. Chaque homme y était considéré, par essence et par naissance, comme doté de liberté, de dignité et de droits inaliénables, quoiqu'il pense, dise ou fasse. Il existerait une morale naturelle. Souvent, l'individu ne serait que très partiellement responsable de ce qu'il pense, dit et fait, non de par de sa nature, mais bien de par les contraintes sociétales qu'il subit.

Par essence, encore, tous les humains seraient égaux, en fait et en droit, car tous porteurs indéfectibles de cette liberté, de cette dignité et de ces droits ontiques qui en feraient des êtres d'exception.

Toujours par essence, l'humain aurait tous les droits sur tout le reste de l'univers, en général, et sur la Nature terrestre, en particulier, qu'il pourrait saccager et piller selon son bon vouloir.

L'humain serait le roi du monde. L'humain serait un homme-dieu d'une nature supérieure à tout le reste qui existe.

Avec la montée, au 20ème siècle, de l'athéisme, du matérialisme et de l'hédonisme, cet hyper-humanisme délirant est devenu le fondement de la normalité et de la moralité (ce qui revient quasi au même : ce qui est "normal" est "moral" et réciproquement).

Au fil des siècles, heureusement, ont échappé à cet enchaînement au Sujet, des penseurs remarquables comme Pascal, Leibniz, Spinoza, Böhme, Swedenborg, Saint-Martin, Schelling, Novalis, Hegel, Schopenhauer, Nietzsche, Bergson, le second Heidegger, …

Tous ces penseurs ont ceci de commun qu'ils ne placent pas "l'Homme" sur un piédestal, en haut du podium des mondes : l'humain n'est qu'une manifestation comme les autres de "quelque chose" qui le dépasse infiniment et que l'on peut, indifféremment, nommer Dieu, Esprit, Vie, Un, etc … Ce "quelque chose" de transcendantal éteint la dualité entre Sujet et Objet, annule l'Être au profit du Devenir et restaure l'humain dans sa liberté, sa responsabilité, son devoir, sa vocation, son mérite, mais seulement au service inconditionnel de ce "quelque chose" de transcendantal qui lui donne, et lui seul, sens et valeur.

L'humain au seul service de l'humain, ne vaut rien et ne peut revendiquer ni droits, ni dignité !

Marc HALEVY, 7 janvier 2018.