Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Emergence : la simplicité par la complexité.

La cosmologie et la physique fondamentale qui l'exprime, sont condamnées, je le crains, à accoucher d'une physique conceptuelle et qualitative, au-delà de l'actuelle physique mathématique et quantitative. La mathématisation des problèmes est toujours une réduction et une idéalisation qui sont incompatibles avec la complexité intrinsèque du Réel. Bien sûr, la physique mathématique aura toujours de très belles perspectives devant elle, mais seulement dans certains domaines applicatifs compatibles avec les idéalisations simplificatrices

Perfection et simplicité se répondent, se conjuguent, fusionnent et s'unissent jusqu'aux tréfonds.

Tout perfectionnement est recherche de la plus grande simplicité. Sans simplisme ni simplification. Une simplicité authentique qui respecte, en la magnifiant, la grande complexité du Réel. Car contrairement à ce que croient les esprits lourds ou ignorants, simplicité et complexité ne s'opposent jamais. Tout au contraire. Elles se répondent, se nourrissent réciproquement. Rien n'est à la fois aussi complexe et aussi simple que le geste du calligraphe qui, précisément, parce qu'il est à la fois simple et complexe, atteint à la perfection.

La perfection accomplie, c'est la totale maîtrise de la complexité dans la simplicité.

 

Voyons ce couple complexité/simplicité. Il faut bien comprendre que ce couple n'induit aucune dualité. Il n'y a aucun rapport d'opposition entre ces deux pôles. Complexité et simplicité sont les deux faces du même réel : l'un ne va pas sans l'autre, comme le yin et le yang taoïstes, comme les pôles nord et sud d'un aimant.

La simplicité EST dans la complexité et la complexité EST dans la simplicité. Le complexe est simple et le simple est complexe. Il ne s'agit ni d'un paradoxe, ni d'un oxymore. Il s'agit d'une vérité conceptuelle fondamentale que les très récentes sciences de la complexité redécouvrent bien après de très anciennes traditions spirituelles et mystiques.

 

Le compliqué naît de l'assemblage mécanique d'éléments externes, alors que la complexité/simplicité naît de l'émergence organique de processus internes.

Passer de l'assemblage à l'émergence, c'est donc passer du compliqué à la complexité/simplicité. C'est passer du mécanique à l'organique. C'est passer de l'exogène à l'endogène. C'est passer de l'extériorité à l'intériorité. C'est passer du paraître au devenir.

 

Simplicité.

Simple ? Minimal. Econome. Frugal.  Non pas faire le plus, mais faire le mieux (complexité) avec le moins (simplicité). Refus obstiné de toute complication. Processus intégratif et non pas concaténation additive. Emergence (par le dedans, dans l'intériorité) et non pas assemblage (par le dehors, depuis l'extériorité).

Partout simplicité et complexité se tressent l'un à l'autre (cum plexus, en latin, signifie "tressé avec").

 

Le secret du couple complexité/simplicité est dans la notion de propriété émergente (c'est le principe holistique qui observe que, si tout va bien, le tout est plus que la somme de ses parties).

De situations initiales simples et de processus simples, surgissent, par effets de saut, par paliers successifs, des propriétés émergentes de plus en plus complexes, c'est-à-dire intégratives, organiques, processuelles.

 

Propriété émergente ? Propriété processuelle, c'est-à-dire globale et dynamique, non réductible aux acteurs qui y interviennent. Ces propriétés émergent des processus interactifs entre ces acteurs ; elles expriment des structures processuelles, des invariants dynamiques, des constructions dissipatives qui, quoique générant de l'espace-temps, ne se réduisent jamais ni à des structures spatiales (architecturales), ni à des structures temporelles (procédurales). Elles ne sont conditionnées par aucun critère de reproductibilité : elles émergent parce que leur émergence est la voie la plus simple, hic et nunc. Cette émergence n'est pas le fruit d'une optimisation de l'état du système (comme le serait le principe de moindre action - principe de Maupertuis ou d'Hamilton en mécanique classique - qui extrémise le bilan énergétique), mais bien de l'optimisation du processus actif de dissipation des tensions dont le système est le siège et l'expression.

 

L'extrême simplicité est extrêmement complexe.

Atteindre l'état de simplicité requiert un processus complexe, non de simplification, mais de sublimation.

C'est le passage de la complication à la simplicité qui est complexe.

Car il s'agit d'intégrer la multiplicité du compliqué dans l'unité de la simplicité.

La simplicité est le résultat d'un processus complexe destiné à résoudre (dissiper) la complication tensionnelle.

Ce processus est un processus d'épurement, d'intégration, d'agrégation, de résolution synthétique du multiple. Ce processus est une montée (vers plus de compacité, plus d'abstraction, plus de densité, plus de pureté) à l'inverse des mécanismes analytiques qui sont autant de descentes, de démontages, de désossages.

 

Il faut s'abstenir de parler d'objet. Les objets ne sont que les traces apparentes des processus sous-jacents dont ils ne sont que les manifestations.

Tous les processus sont simples. C'est notre regard sur eux qui les rend compliqués.

Tout processus est l'histoire d'un accomplissement de ses propres potentiels et de leurs infinies combinaisons : il explore et exploite tous les possibles laissés "ouverts" par le contexte.

La complexité/simplicité d'un processus réel est précisément qu'il n'est pas explicable analytiquement, qu'il ne peut jamais être réduit à du mécanique même très compliqué.

Dans sa nudité naturelle et vécue, le processus est toujours simple et, à la fois, complexe parce que non réductible.

Car là est le sens profond et originel de "simple" : ce qui ne peut être décomposé, ce qui est sans tressage (sine plexus), ce qui est sans nœuds aussi.

Le simple est unitaire, sans assemblage. Et c'est là que réside sa complexité : il est tout d'un bloc, indécomposable.

 

*

* *

 

L'avis de Paul Matthys

 

Je pense que tu as raison, que la complexité du réel n’est pas mathématisable.  Déjà, les physiciens contemporains sont plutôt passés à la modélisation informatisée du réel  qui produit des images imitant de façon dynamique le réel et son évolution, pour autant qu’il s’agisse de processus temporellement évolutifs.  En d’autre termes, le physiciens contemporains mimétisent le réel complexe en utilisant un substrat qui est lui-même doué de complexité intrinsèque.

 

Les anciens modèles mathématiques n’étaient finalement, bien considéré, que cela : des images homomorphes du réel, ou du moins une tentative d’en créer.

 

Mais le passage à une physique conceptuelle et qualitative aura son prix : la perte de la prédictibilité.  Cette nouvelle physique sera bien davantage descriptive que prédictive.

 

Ma réponse.

 

Nous vivons le passage d'une modélisation mathématique de prédiction, mais à une modélisation algorithmique de simulation.

Cependant, la prédictibilité restera de mise, de façon indirecte, au travers de processus idéalisés et simplifiés qui confirmeront ou infirmeront les modèles descriptifs plus "métaphysiques".

 

*