Les trois ennemis à combattre.
La Modernité clôt l'ère messianique fondée sur l'espérance en la venue d'un monde meilleur, soit existant ailleurs (c'est l'espérance sotériologique ou eschatologique du monde divin déconnecté de ce monde-ci), soit plus tard (c'est l'espérance révolutionnaire d'un monde à venir remplissant toutes les conditions d'un bonheur maximal pour tout un chacun).
Cette Modernité commence par une révolte contre le chappe du plomb catholique, dogmatique, vaticanesque et papal. L'imprimerie, nouvellement inventée, permet la diffusion de la Bible qui peut être lue (donc comprise, interprétée, commentée, méditée) individuellement, loin des lectures stéréotypées et dogmatisées d'un clergé catholique champion des œillères.
De plus, la science commence à ruer dans les brancards et la philosophie grecque refait surface au-delà d'un Aristote augustinisé, d'un stoïcisme romain à bas prix dûment "moralinisé" et d'un Plotin réduit à des barbotages mystico-ésotériques d'eau bénite.
L'imprimerie brise les monopoles des savoirs, La science et la technologie renaissent de leurs ruines féodales. Le 16ème siècle (Erasme, Montaigne, Bruno, Machiavel, ...) réapprend à penser et enclenche le 17ème siècle : le "siècle d'or" (Galilée, Descartes, Spinoza, Locke, Pascal, Leibniz, Hobbes, Bacon, Newton, Kepler, Fermat, Huygens, ...).
Le 18ème qui suivit, le siècle du philosophisme (Ausklärung en Allemagne, Enlightenment en Grande-Bretagne et, plus tard, les obscures "Lumières" françaises) fut le siècle de l'apothéose de la Modernité, c'est-à-dire celui de son orgueil, de sa vanité, de son autosatisfaction, de son autoglorification, du culte de sa propre gloire ... mais qui ne produisit rien qui ne soit sur la lancée ou dans la caricature du 17ème siècle (avec quelques exceptions : Euler, Lavoisier, Kant, Hume).
On entre ensuite dans le calamiteux 19ème siècle,
- siècle de tous les délires où les certitudes artificielles ficelées au 18ème siècle, se muent en idéologies (par définition démagogiques, simplistes et vulgaires) dont le parangon fut le socialisme de 1848 repris par Marx pour engendrer la plus meurtrière calamité du 20ème siècle, jusqu'à aujourd'hui, le communisme ...
- siècle de tous les délires techno-industriels, de la production de masse, de la consommation de masse, du financiarocentrisme, de la science mécaniciste mathématisée et de ses déviances positivistes et scientistes encore dominantes aujourd'hui ...,
- siècle de tous les délires idéologiques (illusoires autant qu'artificiels) avec son flanc économico-financiariste, son flanc socialo-communiste, son flanc ethno-nationaliste, son flanc colonialo-expansif,
- siècle géopolitiquement calamiteux enclenché par un nabot mégalomaniaque appelé Napoléon Bonaparte qui, en dehors des guerres militaires, induisit deux conséquences exécrables ;
- l'idée d'Etat-Nation et les haines, rancœurs et vengeances que furent, l'une à la suite de l'autre, l'une comme conséquence de l'autre, les guerre de 1870, la première guerre mondiale de 1914 à 1918 et la seconde de 1939 à 1945 (sans compter les myriades de guerres locales qui en sont toujours les conséquences) :
- l'étatisme fonctionnaire et bureaucratique, maître de toutes les règles et de toutes les normes, plus ou moins autoritaristes (le militaro-militantisme était né).
Quand au 20ème siècle, il fut celui de toutes les décrépitudes, malgré son opulence apparente après 1965. Deux guerres mondiales. Trois camps idéologiquement en haine réciproque. Des guerres décoloniales un peu partout, instiguées et financées par les camps communistes ... pour plonger ces pays dans des marasmes économiques et ethniques sans fond. Consumérisme et financiarisme absurdes et outranciers. Démographie galopante ridicule ; saccage et pillage de toutes les ressources naturelles ; pollutions à grande échelle ; effondrement des systèmes éducatifs ; hyper-idéologisation de tout et de n'importe quoi (exemples : wokisme, genrisme, parasitisme, droguisme, flemme généralisée, assistanats tous azimuts, ...).
La modernité, aujourd'hui, s'effondre dans un chaos mondial qui, toujours, s'installe à la croisée de deux paradigmes (le premier usé et incapable de réguler ses systèmes, et le second naissant, n'ayant pas encore eu l'occasion d'imaginer, de construire et de tester ses nouveaux systèmes de dérégulation). Morale de l'histoire : plus aucune régulation ne fonctionne et le monde est en plein chaos depuis 1985-1990 jusqu'en 2030-2035 (avec un acmé entre 2020 et 2030).
Le nouveau paradigme qui émerge (celui que j'appelle paradigme de la noéticité[1] – remplaçant la Modernité -, premier de l'ère de l'eudémonisme[2] – remplaçant celle du messianisme).
Il se construira sur trois piliers fondamentaux : l'anti-humanisme, l'anti-rationalisme et l'anti-idéalisme.
L'anti-humanisme : cesser de croire, de faire ou de laisser croire que l'humain est le centre, le sommet et/ou le but du monde. Comme tout ce qui existe, l'humain (avec ses talents et ses tares) a émergé pour contribuer à l'accomplissement cosmique et ses grandes étapes successives que furent l'émergence de la Matière (lors du big-bang), de la Vie (un arbre aux mille rameaux et aux milliards de fruits différents) et la Pensée (qui n'est pas l'apanage que de l'humain seulement). Une fois pour toute : ce n'est pas le monde (y compris les "autres") qui est au service de l'humain ; mais l'inverse car c'est l'humain (tous les humains) qui doit enfin se mettre au service de la Matière, de la Vie et de la Pensée au sens cosmique de ces termes. Et que l'humain cesse de s'inventer des Dieux à sa ressemblance : le Divin (c'est-à-dire le Réel-Un) se fiche de l'humain comme d'une guigne, perdu sur sa minuscule planète dérisoire.
L'humanisme doit céder la pas à un pancosmisme moniste et évolutionniste, car l'humain n'est qu'une petite vague à la surface de l'immense océan du Réel.
L'anti-rationalisme : cesser de croire que la logique aristotélicienne, le mécanicisme réductionniste et l'analycisme déconstructionniste puissent atteindre les couches profondes du Réel dont la complexité intrinsèque échappe à ces outils simplistes.
Longtemps, depuis Démocrite, mais surtout depuis la Renaissance, les savants ont tenté de dessiner le Cosmos comme un immense puzzle construit en "Lego" : un assemblage de briques élémentaires, interagissant par des forces élémentaires (la physique en reconnaît quatre) selon des lois élémentaires (dont la formulation a évolué au cours des âges vers toujours plus de complications diverses). Le Tout qu'ils entrevoient n'est que la somme de ses parties comme un moteur de voiture n'est que la somme des pièces mécaniques qui le composent.
Depuis les révolutions relativistes et quantiques du début du 20ème siècle, on sait pertinemment que cette vision ne concerne que les configurations les plus simples et élémentaires dites "mécaniques", mais que la grande majorité des phénomènes réels n'entre pas dans ce moule étroit et simpliste.
Le Réel est complexe, non réductible à ses "parties" apparentes, en évolution permanente dans toutes ses dimensions, guidé par une intention cosmique (non pas un finalisme, mais un intentionnalisme). Bref : le Tout du Réel-Un est bien plus que la somme de ses parties. Et pourtant, on le sait depuis si longtemps : un couple qui s'aime ou une famille unie sont infiniment plus que la simple juxtaposition mécanique et interactive de quelques individualités étanches et fermées.
Anti-idéalisme : le réel n'est pas l'idéal, l'idéalité n'est pas la réalité, l'idéalisme n'est pas le réalisme, l'idéologie est tout sauf la véracité et l'idéologisme est une maladie mentale s'apparentant au refus du Réel et à la fantasmagorie, engendrant tous les délires de persécutions, tous les complotismes, toutes les paranoïas, toutes les phobies qui ont pourri la vie de ces deux derniers siècles et la pourrissent encore piteusement. Toute la vie politique et sociétale a été intoxiquée par ces miasmes psychotiques depuis au moins la révolution française (ou plutôt l'émeute parisienne contre la famine, récupérée par Robespierre et ses larbins avant d'être balayés par Bonaparte).
Il n'existe pas d'humain "idéal". Il n'existe pas de "société idéale". Il n'existe qu'une espèce animale mal conçue qui pour survivre malgré son inaptitude à la vie sauvage, a dû développer sa capacité à prévoir et anticiper des dangers et les opportunités à venir, en comprenant, par la pensée, vaille que vaille, la "logique" de la Nature environnante. Il a fallu ensuite, du fait des grandes faiblesses individuelles de ces humains nus, inventer des comportements sociaux permettant des actions communes plus fortes, plus efficaces, plus sûres. C'est cela, l'humain, et rien d'autre : comprendre le monde du mieux possible (c'est le rôle de la science), apprendre à être efficace ensemble (c'est le rôle de la politique et de la justice) et veiller à optimiser les consommations et les temps de vie, et à minimiser les gaspillages, les gâchis et les pollutions de toutes sortes pour vivre en harmonie avec la Nature qui nous entoure (c'est le rôle de l'économie et de l'éducation).
Le nouveau paradigme qui est en train de se construire, malgré ses détracteurs, ses ennemis, ses délateurs et ses lâches, n'a d'autres piliers de soutien que ce rejet pur, franc et net de tout humanisme (en gardant le sens et le respect de l'humain), de tout rationalisme (en préservant une rationalité de bon escient) et de tout idéologisme (en nourrissant une Joie de vivre dans une belle autonomie respectueuse de l'autre, humain ou non humain).
Une remarque finale :
Au fond, les trois ennemis à combattre décrits ci-dessus ne pointent que les bifurcations paradigmatiques indispensables au cœur de chacun des trois piliers de l'existentialité de tout processus complexe :
- L'anti-humanisme redéfinit la substance-même du monde humain (Substantialité).
- L'anti-idéologisme redéfinit la nature des règles de la vie sociétale (Logicité).
- L'anti-rationalisme redéfinit la méthode de l'évolution culturelle des sociétés (Constructivité).
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[1] Parce que fruit, tout à la fois, de la montée de la connaissance, de la dématérialisation et de l'algorithmie (Noûs en grec signifie "connaissance, intelligence")
[2] Parce qu'il s'agit de vivre à construire, ici-et-maintenant sa Joie de vivre - et non du plaisir ou du bonheur – sans plus rien espéré des "autres mondes" ailleurs ou à-venir prêchés par les messianismes.