Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

A propos du christianisme.

Le christianisme est moribond, surtout dans ses versions occidentales, catholique et protestante. Pourquoi

Le christianisme est basé sur une série de croyances qui le discréditent totalement et que bien des chrétiens contemporains ont de plus en plus de mal à gober :

Les Evangiles seraient la relation historiographique exacte des faits, gestes et miracles thaumaturgiques de Jésus. Cette position est indéfendable sur les deux points essentiels. D'abord, les Evangiles ont été écrits en grec, par des non Juifs, et tard (pour les synoptiques de la mouvance paulinienne : Marc vers 70, Matthieu vers 80, Luc vers 90 et pour le mystique de la mouvance alexandrine, celui de Jean : après 100 ; quant aux Evangiles dits "apocryphes" …). Ensuite, en retournant à la source des sources, c'est-à-dire l'Evangile de Marc, on constate que la vie "publique" de Jésus se réduit à une seule année et consiste en paraboles morales (souvent un peu infantiles à tendance socialo-gauchiste), en guérisons miraculeuses (apologies légendaires à visée hagiographique dans le pur style oriental de l'époque) et en le récit de la passion (qui est le fondement même de la foi chrétienne du "sacrifice" de Jésus devenu Christ, en vue de la rédemption des "péchés" de l'humanité). Seul ce dernier point à une réelle portée spirituelle par la riche symbolique qu'il déploie (mais, insistons-y : ce récit n'a rien d'historique et n'est que l'amplification poétique et symbolique du supplice, par les Romains, d'un révolté subversif comme il y en eu beaucoup en Judée entre -45 et 70).

Les miracles faits par Jésus ou en son nom seraient la preuve de sa divinité. Le surnaturel a toujours été considéré comme la "preuve" d'une relation particulière au Divin puisque Dieu, créateur de la Nature, est "évidemment" au-dessus de la Nature et omnipotent, donc capable de contrevenir aux lois qu'il a lui-même imposées à ladite Nature. On comprend immédiatement que cette position est intenable : pourquoi un Dieu omniscient, omnipotent et parfait imposerait-il des lois qu'il s'amuserait à défaire ou à contourner selon son bon plaisir. Ce serait l'aveu même de son imperfection et de ses ignorances. Depuis toujours, surtout en orient, le merveilleux fait merveille ; il émerveille les masses ignorantes, il fait rêver les rêveurs, il émaille les récits fabuleux pour sortir les esprits faibles de la vraie réalité du monde réel. Le surnaturel et le paranormal ont toujours fait leurs choux gras de la crédulité des esprits faibles et des intelligences débiles. Tous ces récits miraculeux, thaumaturgiques, surnaturels et paranormaux n'ont aucune portée spirituelle et ne poursuivent que l'édification des masses crédules. Disons-le tout net : dans le Réel, il n'y pas de miracles.

Le christianisme serait la religion révélée par Jésus-Christ aux Juifs qui l'auraient refusée. Disons les choses abruptement : Jésus ne fut pas chrétien. Il fut un Juif rebelle, plus politique que religieux, plus idéologue que mystique. Le véritable inventeur du christianisme fut Saül de Tarse mieux connu sous son pseudonyme latin : Paulus. Les "apôtres" cités dans les Evangiles n'étaient que les frères et sœurs, et les partisans des classes inférieures du rebelle Jésus. Sa mort cassa la dynamique (sa résurrection est un mythe qui fut inventé bien plus tard). Son frère de sang, Jacques, tenta bien de sauver le message de son frère au sein d'un tout petit cénacle (les judéo-chrétiens, c'est-à-dire les Juifs convaincus par la prédication de Jésus qui restaient totalement juifs, mais suivaient, en plus, les enseignements de leur idole). Ce petit cénacle (qui passa totalement inaperçu) croyait, dur comme fer, à la libération de la Judée et à la défaite imminente de Rome. Leur espoir fut anéanti par la destruction de Jérusalem en 70 et par la diaspora juive qui s'ensuivit. Mais, entretemps, il y eut Paul, un Juif renégat, collaborateur des Romains, farouchement antisémite (comme ces autres Juifs renégats que furent Marx ou Freud) qui, dit-on, sur le "chemin de Damas", eut la révélation de sa mission : transformer le message juif de Jésus, le rebelle un peu zélote, en un message universel de libération des classes défavorisées au sein de l'Empire romain. Paulus devint "l'apôtre des Gentils" (les Gentils, ce sont les membres des gentes c'est-à-dire des nations non juives au sein de l'Empire romain - le mot hébreu est Goyim). Cette "mission" paulinienne fut âprement démentie et combattue par les disciples de Jésus ; mais la catastrophe de 70 dissémina ce petit groupe qui disparût presque totalement de la scène, laissant à Paul les coudées franches pour fonder sa religion "universelle" (catholique, donc, selon le sens de ce mot en grec). La rupture entre christianisme et judaïsme fut consommée et l'antijudaïsme paulinien put s'en donner à cœur-joie. C'est dans cette mouvance paulinienne que furent rédigés les trois "Evangiles synoptiques" et les "Actes des Apôtres" à la suite et dans le droit fil des "Epîtres" de Paul (qui sont, du moins pour les quelques lettres authentiques, les textes les plus anciens du canon biblique chrétien). Face à ce paulinisme qui se répandit vite dans les classes inférieures de l'Empire romain, il resta un îlot anti-paulinien à Alexandrie où un tout autre christianisme se développa, avec ses propres Evangiles que l'on dit aujourd'hui "apocryphes" et qui sont connus comme ceux de Thomas, de Philippe, de Marie, etc … et qui continuèrent à être véhiculés par les Coptes, les Nestoriens, les Syriaques, etc … et qui, bien évidemment, furent déclarés hérétiques par la mouvance paulinienne triomphante. L'Evangile dit de Jean est le témoin d'une tentative tardive de réconciliation (de récupération ?) de la mouvance alexandrine par le courant paulinien. Quant au livre de l'Apocalypse, c'est sans doute le plus extraordinaire faux du canon chrétien car, tous les exégèses sérieux en sont d'accord, ce texte est une récupération (un plagiat, dirait-on aujourd'hui) d'un texte issu de la grande tradition apocalyptique juive des deux siècles qui ont précédé l'ère dite chrétienne, mais refaçonné à la sauce chrétienne par l'ajout de quelques allusions aux sept Eglises, etc …

Jésus serait un "rabbi" particulièrement versé dans les études juives et qui en remontrerait aux docteurs de la Loi. A remarquer, d'abord, que le mot hébreu rabbi signifie "mon maître" (au sens de maître d'école) et que l'institution rabbinique, au sens actuel, est strictement pharisienne et synagogale, bien postérieure à la destruction du Temple en 70. De plus, les Evangiles montrent clairement à quel point les "idées" théologiques qu'ils prêtent à Jésus, sont puériles et ignorantes de la tradition et de la science juives. A lire les textes, on voit que Jésus est un exalté juif issu des classes populaires et pharisiennes (le pharisaïsme était une dissidence hérétique du judaïsme, opposée aux sadducéens qui étaient l'élite religieuse et théologique, dépositaire de l'orthodoxie lévitique). Mais Jésus se rebelle aussi contre le pharisaïsme, poussé par Jean-le-Baptiste, dissident essénien (cfr. le baptême qui est le rite essénien central, traduisant l'obsession essénienne de la "pureté").  La rédemption par le Christ serait la réponse théologique au "péché originel" qu'elle n'efface pas (sinon le baptême ne serait plus nécessaire), mais qu'elle promet l'effacer lors de la parousie. La notion de "péché originel" est une pure invention d'Augustin d'Hippone, un berbère romanisé, incapable de lire l'hébreu et le grec, qui a interprété, à sa sauce et au mépris des textes originels, le récit de la Genèse (chapitre 2 à 5). Dans ce texte fondateur, il n'est question ni de péché, ni de faute, ni de désobéissance, mais bien d'initiation de l'Humain (Adam) par la Vie (Eve ou 'Hawah) qui lui fait mangé, poussée par le serpent-devin envoyé par Dieu, du fruit de l'arbre de la Vie et non de celui de la Connaissance.

Face au Dieu trine, il y aurait le Diable ("celui qui divise", en grec), le Satan ("l'obstacle", en hébreu), le Lucifer ("celui qui apporte la lumière", en latin), bref un "autre Dieu", maître du Mal, contre lequel le Dieu du Bien serait notoirement impuissant. On comprend qu'une telle théologie est issue du manichéisme perse et est incompatible avec le monothéisme déclaré du christianisme. On comprend aussi que s'installe, là, un dualisme ontique issu du platonisme (dont Augustin d'Hippone fut le thuriféraire chrétien au travers des traductions latines de Platon) opposant le monde vil et peccamineux de la matière et de la chair, au monde parfait et idéel de la divinité et des âmes pures (le monde des Idées de Platon, théologisé par les penseurs chrétiens du haut moyen-âge).

Dieu, dans son infinie bonté, offrirait sa Grâce à ceux qu'il choisit. L'idée est simple (même simpliste) : les hommes sont incapables d'atteindre leur "Salut" sans un coup de pouce divin appelé "grâce efficace" (encore une invention augustinienne) que Dieu réserve à ceux qu'il choisit. Les théologiens se sont farouchement opposés sur les critères de ce choix divin. En gros deux écoles se font la guerre : celle qui lie la grâce aux actes libres (c'est la position jésuite, par exemple, qui lie grâce et mérite personnel) et celle qui lie la grâce à une prédestination c'est-à-dire à une décision intemporelle liée à une âme particulière depuis l'origine des temps (c'est la position calviniste, par exemple). Dans les deux cas, Dieu se révèle particulièrement injuste et cruel - ce qui est virulemment contradictoire avec la pétition de principe de la justice, de la pitié, de la miséricorde et de la bonté divines. Le cas de la prédestination est évident : pourquoi celui-ci et non celui-là ? Quel arbitraire ! L'autre cas (la grâce divine au mérite) l'est moins, mais s'éclaire en considérant que, si le coup de pouce est réservé à ceux qui le mérite, les plus faibles n'ont, eux, aucune chance de sauver leur âme, ce qui est la négation la plus absolue de la "loi d'amour" et de la "miséricorde" divines. Thomas d'Aquin a eu beaucoup de mal avec tout cela car la conclusion logique est claire : Dieu ne veut pas le "salut" de tous les hommes, mais de quelques élus seulement … Un Dieu omniscient et omnipotent peut-il être aussi injuste et cruel ? Pour être conséquent, c'est toute la théologie de la grâce qu'il faut rejeter en bloc (ce que firent, par exemple, Grégoire de Nysse ou Origène et, à leur suite, toute l'Eglise orthodoxe).

Le Dieu chrétien serait trine. Pendant des siècles, l'idée trinitaire a été discutée et disputée sans discontinuer (et cette disputation n'est toujours pas terminée aujourd'hui). Elle est à l'origine d'un nombre incalculable de conciles et de synodes, d'hérésies et de contre-hérésies, d'anathèmes et d'excommunication, et, pour finir, du grand schisme entre l'Eglise orthodoxe et de l'Eglise catholique dissidente. De quoi s'agit-il ? Tout part de l'affirmation paulinienne que l'homme Jésus est "aussi" Dieu. La théologie juive (pour autant que l'on puisse parler ainsi puisque la tradition juive est la moins théologique qui soit) avait clairement et étanchement distingué et séparé le plan divin cosmique et le plan humain mondain. L'orthodoxie lévitique et sadducéenne a clairement éradiqué les idée de vie après la mort, d'âme personnelle immortelle, de résurrection des morts, d'un quelconque au-delà, etc … La seule idée du Salut dans l'orthodoxie juive originelle était liée à une métanoïa collective et en la réalisation, dans ce monde-ci, de l'Alliance entre le Divin et l'humain. Cette foi fondait l'espérance messianique qui n'a rien à voir avec la "venue d'un Messie humain sauveur du monde", mais qui a tout à voir avec un période à venir de l'histoire (les temps messianique) où la Maison d'Israël et, très accessoirement, l'humanité entière accèderont à un niveau très supérieur de gnose, de sagesse, de spiritualité et de pureté. Mais revenons au problème de l'homme-dieu car c'est là où tout se noue. Presque toutes les autres traditions spirituelles et religieuses se reconnaissent dans un homme particulièrement saint qu'elles posent comme leur fondateur : Moïse pour le judaïsme, Mu'hammad pour l'islamisme, Siddhârta Gautama Sâkyamuni pour le bouddhisme, Lao-Tseu pour le taoïsme, Shankara pour le védantisme, Zarathoustra pour le mazdéisme, etc … Dans tous ces cas, ce fondateur est considéré comme un homme purement humain, ayant eu une destinée purement humaine et mort de mort humaine. Seul le christianisme a voulu faire de son fondateur un Dieu. Mais le souci fut que la place était déjà prise par le Dieu que le christianisme avait volé au judaïsme en le renommant : YHWH, le dieu tutélaire de la Maison d'Israël, un dieu parmi les nombreux Elohim des temps bibliques, était devenu le Dieu unique et absolu, créateur du ciel et de la terre. Comment concilier le Jésus-Dieu et ce Dieu-créateur ? Comment préserver le monothéisme du christianisme et ce dualisme naissant ? Il fallut inventer un lien fort, unitif, entre ces deux Dieux pour qu'il n'en fasse plus qu'un. On en inventa donc un troisième : l'Esprit-Saint, indispensable unificateur entre le Dieu-Père et le Dieu-Fils. Trois hypostases du Dieu unique, dirent certains ; trois personnes dans le Dieu unique, rétorquèrent d'autres. Il fallut alors aborder et résoudre deux problèmes théologiques majeurs. Le premier : comment concilier trois dieux en un seul Dieu ? Ce n'est pas le problème le plus difficile car toutes les autres traditions spirituelles ont toujours bien compris que le ternaire était indispensable pour rendre compte de la dynamique cosmique : le Ternaire (EynSof-YHWH-Shékinah) juif, la Trimurti (Brahma-Vishnou-Shiva) hindoue, la Triade (Tao-Yin-Yang) chinoise, la Triskèle (--) celte, et tant d'autres … montraient la voie ; l'Eglise orthodoxe, au contraire de la catholique, l'a parfaitement comprise. Le second problème était de loin le plus ardu : comment concilier, en Jésus, l'homme et le Dieu ? comment envisager la naissance d'un homme-dieu du ventre de sa mère terrestre et de la semence de son père terrestre ? comment expliquer la rédemption par la souffrance et la mort d'un Dieu qui, par essence, ne souffre ni ne meurt ? Il eut été clairvoyant et logique de renoncer à la divinité de Jésus-Christ et, à l'instar des autres traditions, d'en faire un homme exceptionnel, un prophète hors du commun, un esprit et un cœur d'une élévation prodigieuse … Mais rien n'y fit. L'Eglise s'obstina dans ce qui était déjà et est toujours la plus grande impasse théologique jamais concevable. Trêve donc de billevesées : Jésus fut un homme et rien qu'un homme, humain, trop humain, qui mourut crucifié par les Romains et qui ne ressuscita pas autrement que spirituellement et symboliquement dans le cœur, l'esprit et l'âme de ses disciples. Tout le fatras surnaturel (naissance virginale, père putatif, miracles, guérisons, transfiguration, résurrection, ascension, assomption, …) que l'on y a surajouté n'apporte rien ni à sa révélation morale, ni à sa puissance spirituelle, ni à la profondeur de ce message éternel qu'est la "bonne nouvelle". Tout au contraire, ce surnaturel merveilleux de contes pour enfants, les décrédibilise.

Le monde d'ici bas serait le royaume du Mal. Le monde céleste qui est le lieu de Dieu et du Divin, est aussi le lieu de la divine Perfection éternelle et immuable. Notre monde humain étant visiblement imparfait, il ne peut qu'être distinct, non en degré, mais en nature, du monde divin. Ainsi s'installe un dualisme ontique incontournable. Et puisque Dieu, dans la formulation platonicienne, est le souverain Bien absolu, il faut en déduire que notre monde humain, de chair et de sang, de larmes et de douleurs, est, forcément, le royaume du Mal … malgré qu'il aurait été créé de toutes pièces par ce Dieu absolument parfait, sublimation du Bien absolu. Comment un Dieu absolument parfait, omniscient et omnipotent, en est-il arrivé à créé un monde rongé par la Mal, la souffrance et la mort ? On voit poindre, encore une fois, une impasse théologique totale. Pour s'en sortir, à leur "bonne" habitude, les Pères de l'Eglise ont inventé. Il ont inventé la fable du Paradis terrestre, de la faute d'Eve et de la punition, tout cela au travers d'une interprétation fiévreusement fallacieuse et mensongère du texte hébreu (qui parle seulement d'une sortie initiatique de l'animalité innocente et de la prise de conscience de la réalité du Réel). Mais cela ne pouvait suffire car, si Dieu est omniscient, il devait évidemment savoir que l'humain succomberait à la tentation et fauterait, et qu'il faudrait le punir. Comment donc concilier ce machiavélisme cruel avec l'absolue bonté divine ? Ou bien Dieu est omniscient et il n'est pas bon (il est même sadique) ; ou bien Dieu est bon et il n'est pas omniscient (il est même un peu con) ! Pour sortir de cette impasse et rendre compte, en même temps, de l'infinie bonté divine et du Mal qui imprègne le monde, on inventa le Diable … et l'on eut bien du mal car soit Dieu a tout créé et il a donc aussi créé le Diable (retour au sadisme et à la cruauté de Dieu … ou à son incapacité de prévoir que parmi les anges qu'il a créés, il y en aurait un qui se prendrait un délire d'orgueil tel qu'il se révolterait contre Dieu, sachant que ce Dieu n'aurait pas la puissance de l'anéantir illico). Il fallait donc créé un Diable qui soit l'égal de Dieu, face à Dieu, contre Dieu ; Mal absolu contre Bien absolu. Nous sommes bien, là, dans la perspective manichéenne que reprirent, au sein du christianisme diverses "hérésies" dont celle des hussites, des vaudois et des cathares. On le voit bien, pour la deuxième fois, le monothéisme est mis à mal, il est même impossible de le concilier avec la théologie chrétienne pour une raison simple : cette théologie est ontologiquement dualiste, déchirée entre le monde de la perfection divine et celui de la misère humaine, entre Dieu et le Diable. La seule issue à ces impasses théologiques et l'affirmation d'un monisme radical : le monde divin et le monde humain ne forment qu'un seul monde qui est le Réel-Un, et ce Réel-Un est le processus d'accomplissement du Divin qui, puisqu'inachevé (à jamais inachevé, d'ailleurs) inclut des imperfections que l'homme appelle le "Mal" parce qu'il en souffre lorsqu'il ne les accepte pas. Ni le "Mal", ni le Diable n'existent ; ce sont des chimères, des phantasmes, des contes pour enfants. Le Réel-Un évolue vers toujours plus de divinité réalisée dans un processus évolutif qui ressemble à la vision qu'en eurent les grands mystiques, d'Eckart de Hochheim à Pierre Teilhard de Chardin. Ce que nous appelons le Mal ou le Diable n'est jamais que notre regard puéril et capricieux sur les imperfections d'un Réel-Un divin qui s'accomplit à travers tout ce qui existe, nous compris. Dieu n'est ni parfait, ni omniscient, ni omnipotent, ni immuable … ni bon, ni juste, ni miséricordieux, ni aimant, ni aucun de ces anthropomorphismes ridicules. Dieu est le Réel-Un en marche ! Dieu est vivant ! Et l'homme est à son service malgré qu'il lui soit inconnaissable.

Le péché marquerait l'âme lorsqu'on succombe à la tentation du Mal. Le discours catéchiste donne l'image d'une âme blanche et pure que le péché souillerait partiellement ou totalement, et qui ne pourrait retrouver sa puerté que par un acte de contrition et un sacrement de pardon. En cas de négligence au long de sa vie, le pécheur invétéré aurait un dernier recours : l'extrême-onction qui effacerait tous les péché d'un coup, mais nécessiterait un passage plus ou moins long dans le purgatoire avant de gagner le paradis. Le péché est au centre non seulement de la théologie, mais aussi de l'idéologie chrétienne qui repose tout entière sur l'idée d'un retour de l'âme personnelle incarnée, mais éternelle, dans le monde céleste et divin après avoir traversé cette vallée de larmes et de péchés qu'est le monde d'ici-bas. L'âme immortelle vient du monde céleste, elle s'incarne dans un corps nouveau-né, elle traverse les tentations et épreuves du monde terrestre, matériel et charnel, avant d'en être délivrée par la mort afin de retourner, enfin, dans le monde céleste où elle jouira, moyennant certaines conditions de pureté, d'une béatitude éternelle. On peut se demander ce qui a pris à ce Dieu bon et parfait du monde céleste, de jouer cruellement avec les âmes qu'il a lui-même créées, qui vivent auprès de lui sinon en lui, Pourquoi donc les envoyer dans l'enfer terrestre ? Pourquoi ces épreuves ? Pourquoi les jeter au monde, les y faire souffrir, les y torturer, pour les récupérer, in extremis, dans sa demeure céleste ? Et encore, si l'épreuve rate, malgré les disproportions entre faute et punition, quelques peccadilles temporaires terrestres provoqueraient une damnation éternelle et d'incessantes tortures horribles au pays des démons et des diables infernaux. Il a fallu, depuis, inventer le purgatoire pour sortir du dilemme et les limbes pour permettre aux gentils non-baptisés d'éviter d'infernales punitions imméritées. Ce discours, même exprimé caricaturalement comme ici, n'est plus recevable. Libre à d'aucuns de croire en une vie éternelle après la mort, une vie spirituelle et immatérielle dans un autre référentiel ; libre à eux, aussi, de croire ou non que les bienfaisances et malfaisances réalisées au cours de la vie terrestre puissent influer sur l'accès ou sur le niveau de la béatitude post-mortem. Ces croyances sont aussi vieilles que l'homme de Néanderthal qui commença à inhumer ses morts en position fœtale, avec des armes, des bijoux et de la nourriture. Le scandale de la mort personnelle est une des grandes questions que nous pose la vie et chacun tente d'y répondre comme il veut ou comme il peut. Mais l'heure n'est plus aux mythologies grandiloquentes et aux mises en scène grotesques. Il suffit de regarder les tableaux infernaux d'un Jérôme Bosch pour comprendre que tout cela relève de délires psychotiques. Théologiquement, tout ce qui existe, participe du Divin et l'existence reflète cette participation dans un Réel-Un en évolution, en accomplissement. L'âme et le corps sont une seule et même entité : la dualité n'a pas plus de place dans la personne humaine que dans le monde réel. Tout est à la fois immortel et éternel, éphémère et variable. Le Réel est un processus en devenir et tout ce qui y existe a la même réalité que les vagues à la surface de l'océan.

Jésus serait réellement présent, par transsubstantiation, dans l'eucharistie. Là, évidemment, on sombre dans l'absurde (catholique car ce concept est absent des christianismes protestant et orthodoxe). Non pas que le rite et les symboles qu'il porte, soient absurdes, bien au contraire. Mais bien que l'adverbe "réellement" soit simplement risible. Rien n'est jamais réel dans un rite, quel qu'il soit. Un rite est une figuration symbolique et initiatique qui met en œuvre des signes, des allégories, des signifiants sans signifié. La messe catholique ou orthodoxe, et l'office protestant (comme la liturgie synagogale juive) est une rituélie initiatique qui offre d'immenses symboles à la méditation du croyant, invité à leur donner une signification pour lui et, ce faisant, à raffermir sa foi en l'approfondissant, en l'incarnant, en la sublimant.

La passion du Christ-Dieu serait un événement historique réel. Non ! Tout y est invention sauf le fait qu'un Juif rebelle nommé Jésus a été crucifié (comme des milliers d'autres, non pas avec des clous, mais avec des liens assurant une mort lente et atroce par étouffement). Condamné pour sédition par les autorités romaines, il est mort et il est resté bien mort, à l'immense stupeur de ses partisans. La passion du Christ depuis le jardin des oliviers jusqu'à son apparition aux disciples d'Emmaüs, est une pure fiction inventée quelques décennies après les événements. Cette fiction est extraordinairement riche, fourmillante de symboles. Tout y est symbole et le tout fait une œuvre de génie, du même tonneau que la Bible hébraïque, que la Bhâgavat Gita ou que l'épopée de Gilgamesh. L'anhistoricité des faits n'a aucune importance. Ce qui est important, c'est ce que nous dit cette fabuleuse histoire, ce qu'elle nous enseigne sur la vie et la mort, sur la souffrance et la joie, sur le rapport au Divin et à l'humain, sur le rapport à la Vie et à l'Esprit.

La fin des temps serait marquée par la Parousie et le Jugement dernier. Cette idée est juive : elle parle de la fin des temps de souffrance et de la métanoïa du monde des hommes par la réalisation finale et définitive de l'Alliance, aux temps messianiques. Soit. Mais cette idée de Salut collectif final est totalement et irréductiblement contradictoire avec la théologie du Salut individuel permanent. De deux choses l'une : ou bien l'âme, dès qu'elle quitte le corps défunt, est jugée et envoyée qui au paradis, qui en enfer, qui au purgatoire ou dans les limbes, et il n'est nul besoin de revenir sur tout cela pour un Jugement dernier ; ou bien, il ne se passe rien au moment de la mort et tout se dénouera d'un coup au temps de la Parousie c'est-à-dire du retour en gloire du Christ dans le monde des hommes. L'un exclut l'autre. Nouvelle impasse. Comment donner raison, en même temps, à la mouvance paulinienne (romaine) et à la mouvance apocalyptique (alexandrine) ? C'est impossible.

Tout péché devrait être expié avant d'être pardonné. Cette théologie (issue de Tertullien) de l'expiation est typiquement catholique et inconnue de l'orthodoxie. Le péché doit s'y laver dans la souffrance. Cette théologie de la vengeance divine pose un Dieu sadique du ressentiment, de la rancœur, de la punition, de la torture. Faut-il souligner la totale incompatibilité entre cette image de Dieu et celle qui fait de lui le parangon de la bonté, de la magnanimité, de l'indulgence, de la clémence, de la miséricorde ? Pour être précis, les rédacteurs des Evangiles synoptiques ont tout inventé pour "coller" au livre du prophète d'Isaïe (notamment les chapitres 52 et 53 qui exposent le sacrifice et l'expiation du "messager" de YHWH) qui semble avoir été leur seule vraie référence biblique. Tout se passe comme si Dieu jouissait des souffrances expiatrices de son "Fils" et des hommes, en monnaie d'échange du pardon de leurs péchés. Cette théologie est proprement insupportable ! C'est toute la problématique de la rédemption qui est ici sur la sellette. Rédimer de quoi ? Sauver de quoi ? Il n'y a jamais eu de péché ni originel, ni mortel, ni véniel. Il y a eu des méfaits et des crimes d'hommes contre des hommes, contre la Vie et l'Esprit ; il y a eu de la barbarie ; il y a eu de la bêtise, de l'ignorance, de la mécréance ; il y a eu des erreurs, des mensonges, des faussetés, des contre-vérités. Mais tout cela ne concerne que les hommes entre eux et autour d'eux ; cela ne concerne pas Dieu qui s'abaisserait en s'y intéressant. Que les hommes soient de fieffés crétins l'indiffère. La relation entre Dieu et les hommes est un mouvement qui monte des hommes vers Dieu et non un avilissement de Dieu qui descendrait vers les hommes (la théologie de l'incarnation est proprement soit absurde, soit évidente : tout ce qui existe est en Dieu, par Dieu, pour Dieu et le manifeste). Dieu n'a que faire des trop nombreux "péchés" des hommes ; libre à eux de s'enliser dans leur fange, Dieu n'en a que faire. Pour le dire autrement, le "Salut" des hommes consiste en leur montée mystique et anagogique vers le Divin. Le signe de ce Salut est la joie vécue intensément dans ce monde-ci, ici et maintenant, sans attendre une fantasmagorique "vie" après la mort. Il n'y a ni aucune récompense ni aucune punition autres que celles de réussir ou de rater sa propre vie, au service de la Vie et de l'Esprit, au service du Divin.

L'homme Jésus serait le Christ-Messie. Une totale confusion s'est installée autour de ces mots Christ (grec) ou Messie (hébreu) qui ne sont en fait qu'un seul : ils signifient "oint", c'est-à-dire béni d'huile sacrée comme le furent tous les rois, grands prêtres et prophètes d'Israël. Cette onction est un rite juif et rien d'autre, rite que Jésus, plébéien profane et inculte, n'a évidemment jamais formellement reçu. Mais le sens du mot a évolué et le christianisme en a fait un synonyme de "sauveur divin". L'idée de Christ y est devenue très proche de celle de divinisation de l'homme, une idée initiatique, celle du Maître parfait, de l'Homme parfaitement accompli, du mystique ayant atteint un état permanent d'union avec le Divin. Le Christ établit un pont parfait et achevé qui relie le plan humain au plan divin. Le Christ est ce pont même. Le Christ n'est ni un homme, ni un Dieu, il est une idée, un concept dont on peut considérer Jésus comme une des multiples incarnations. Le Christ est une idée éternelle, consubstantielle au Divin et à l'humain dans l'unité absolue du Réel-Un. L'homme est en Dieu, par Dieu, pour Dieu, mais il ne le sait pas ; c'est par le Christ que l'homme peut en prendre conscience et en assumer les conséquences c'est-à-dire quitter le monde des apparences et des illusions, franchir la porte de l'initiation spirituelle et mystique, et se mettre au service de ce qui le dépasse infiniment. Pour le dire autrement, le Christ est devenu l'expression chrétienne de la voie initiatique et mystique qu'ont suivie tous les grands sages et tous les grands saints de toutes les traditions spirituelles ayant atteint, au bout de leur difficile périple, la béatitude absolue de l'union avec le Divin. L'imitation de Jésus-Christ est donc la voie chrétienne de la divinisation de l'homme, de l'unio mystica, de l'initiation totale et parfaite : "Dieu s'est fait homme afin que l'homme devienne Dieu". Dieu ne s'est pas "fait homme" ; Dieu est déjà là, depuis toujours, au fond de chaque homme qu'il a fait émerger de lui-même. Tout ce qui existe est émanation et manifestation du Divin, du Réel-Un : une vague sur l'océan. On ne devient pas une vague ; on l'est par nature. En revanche, une vague n'existe pas par elle-même, elle n'a aucune consistance, elle n'est que mouvement temporaire et phénoménal. Pour prendre consistance c'est-à-dire sens et valeur, elle doit sortir de sa forme provisoire et prendre conscience de l'océan dont elle n'est qu'une manifestation particulière. C'est cette prise de conscience et ses conséquence qui constituent le fond de l'initiation spirituelle qui, en christianisme, prend le nom de "Christ" dont les Evangiles, surtout, retracent toutes les étapes et tous les symboles donnés à "imitation". De tout ce qui précède, il appert que le christianisme, surtout sous sa forme catholique, s'il s'entête à proférer les énormités relevées ci-dessus, est condamné à disparaître. Notre époque a soif d'une spiritualité authentique, adogmatique, dénuée de fables et de contes, de merveilleux et de miracles, de surnaturel et de paranormal. Qu'importe l'historicité des récits fondateurs pourvu qu'ils soient spirituellement sublimes et que tout cherchant puisse y trouver une nourriture spirituelle de bon aloi. La foi n'a nul besoin de preuves ; l'évidence lui suffit. Ce sont les théologiens qui tuent la foi. La métaphysique consolide l'intuition spirituelle, mais elle ne la forge ni ne la suscite.

Marc HALEVY, 11 mars 2018.