Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Interview : Une philosophie de la Santé

De la Chine à la Grèce, en passant par l’Inde, les conceptions de la santé ont beaucoup varié dans le temps. Il semble cependant qu’un invariant soit la notion d’équilibre qu’on retrouve même chez Claude Bernard. Comment l’expliquez-vous ?

Comme tout système complexe, un organisme vivant doit, à longueur de temps, résoudre deux équations thermodynamiques contradictoires : celle de la conservation de l'énergie qui impose des apports énergétiques adéquats pour compenser ses dépenses, et celle du maintien d'un haut niveau d'organisation (sa néguentropie, en terme physicien) malgré la loi de la maximisation de l'entropie (la mesure de la désorganisation, du désordre) qui tend à le décomposer en permanence.

Pour le dire autrement : il faut une bonne diététique (les apports énergétiques adéquats) et il faut une bonne santé (la lutte contre la désorganisation naturelle, contre la loi entropique).

Il y a donc deux - et non un seul - équilibres à préserver : l'un est énergétique et l'autre est néguentropique. Ces deux équilibres sont dans un rapport dialectique c'est-à-dire qu'ils se répondent l'un l'autre dans un jeu permanent que l'on appelle l'homéostasie.

Les lois de la Vie sont contraires aux lois de la Matière : celle-ci, en tout, cherche l'uniformité et l'homogénéité alors que celle-là, en tout, vise la complexité et la diversité.

La croyance, également, parait un élément important des différents systèmes. Croyances religieuses mais aussi croyance dans les systèmes et l’efficacité des soins.

Comme on le sait depuis Aristote et Spinoza, l'âme et le corps ne font qu'un : ils sont en permanente interaction psychosomatique. La bonne santé implique autant la bonne santé du corps, comme on vient de le voir, que la bonne santé de l'âme, c'est-à-dire, d'abord, la confiance ; confiance en soi, en la vie, en les dieux, d'une part (c'est la confiance spirituelle), et confiance aux remèdes, aux médecins, aux soins, aux hôpitaux, etc …, d'autre part (c'est la confiance institutionnelle).

A notre époque, particulièrement en France, ces deux confiances essentielles sont mises à mal. Du côté de la confiance spirituelle, la confusion entre spiritualité et religion, amplifiée par le principe hypertrophié de laïcité et par le matérialisme ambiant,  amène chacun à vivre "hors sol", coupé du cosmos, dans le vase clos des villes. Du côté de la confiance institutionnelle, les scandales pharmaceutiques, la contamination de beaucoup d'hôpitaux, la mauvaise compétence médicale, "l'abattage" industrialisé des patients à la chaîne, les délires bureaucratiques de la Sécurité Sociale, etc … l'ont grandement affaiblie, voire détruite.

Quelles sont les enseignements que l’on peut tirer du rapport à la santé des philosophies taoïstes ?

En Chine ancienne, le médecin était payé pour garder le gens en bonne santé et non pour les guérir des maladies. Cela explique que la médecine chinoise ait d'abord été préventive plutôt que curative : diététique (la cuisine chinoise cherche l'équilibre des cinq saveurs) et gymnique (qi-gong ou taï-chi-chuan).

De plus, la philosophie chinoise est globale et repose sur trois principes cosmiques : le Tao qui est le processus, le flux, principe à la fois d'impermanence et de cohérence de tout ce qui existe, et la bipolarité yin-yang qui engendre toutes les mutations.

La bonne santé est un équilibre holistique entre toutes les manifestations du yin et du yang au sein du corps et de l'esprit.

Cette approche holistique est juste le contraire de l'approche analytique de la médecine occidentale.

Marc Halévy pour Ludovic Viévard (Fondation APRIL), Janvier 2018