La finalité de l'économie
La théorie le sait bien : la finalité de tout système complexe est son propre accomplissement en plénitude, et exprime la propension à aller au bout de tous ses potentiels, d'explorer et d'exploiter tous ses possibles.
Mais, comme tout système est pris en tenaille entre les systèmes qui le composent (ses constituants) et le système dont il fait partie (son milieu), trois niveaux de finalité s'étagent en une structure gigogne d'intérêts parfois convergents, parfois divergents.
Ainsi, chaque personne est un système évoluant entre ses organes (ses constituants) et sa famille (son milieu). On comprend vite que l'art de bien vivre consiste à faire converger l'accomplissement de sa famille, de soi-même et de sa santé organique.
Il en va de même pour le système socioéconomique qui doit, à la fois, s'auto-accomplir en développant toutes les possibilités de générer de la valeur et de la richesse (dans tous les sens de ces deux mots, pas seulement au sens financier et matériel), contribuer à l'accomplissement de ses constituants que sont les communautés humaines composées, à leur tour, d'individus, et contribuer, aussi, vers le haut, à l'accomplissement du milieu humain, lui-même partie intégrante de la biosphère.
A l'énoncé de ce qui précède, une énorme conclusion s'impose : l'économie moderne n'a visé que son propre accomplissement (la croissance !) au détriment de celui des hommes qu'elle a rendu esclaves de leur travail et de leur consommation, et au détriment de celui de la biosphère qu'elle a pillée, saccagée, polluée et détruite à qui mieux mieux.
Cette économie de la Modernité a proliféré dans les tissus de la biosphère et de l'humanité comme une tumeur cancéreuse : elle ne vise que son propre développement morbide en tuant cellules et organisme "d'accueil" … se condamnant, par la même occasion, à mort puisque le cancer meurt avec celui qui en souffre. Si un coup d'arrêt radical n'est pas mis au développement de l'économie telle que nous la subissons aujourd'hui, c'est l'humanité que l'on condamne à mort … malgré les doses de plus en plus fortes de morphine que l'on y injecte à grands coups de mensonges, d'euphorisants, de spectacles et de fausses promesses.
On peut ainsi résumer le problème de la finalité de l'économie en trois points qui doivent être satisfaits conjointement :
- la production de valeurs et de richesses - pas seulement matérielles ou financières - qui soient durablement utiles,
- l'épanouissement de la bonne santé, physique et mentale, des êtres humains au travers de leur travail et de leur consommation,
- la célébration de la biosphère, de la Nature et de la Vie sous toutes ses formes, qui doivent être vues comme un jardin à cultiver et non comme un réservoir à piller.
Hors de là, toute forme d'économie est scélérate !
Quoique cette triple finalité du système socioéconomique soit la seule qui puisse permettre à l'humanité d'échapper à son cancer suicidaire, il faut éviter à tout prix que la généralité du propos ne s'enlise dans une nouvelle forme de bien-pensance sans effet, dans le vœu pieux ou le vieux pneu, comme l'on voudra.
Pour cela, il faut passer de la notion de finalité à celle d'intention. En effet, la finalité s'inscrit dans le futur ; elle est une projection sur l'avenir, un "idéal" voire un "phantasme". Pour la rendre effective, il faut, à toute force, la ramener dans le présent et en faire une arme de décision réelle et de responsabilité réelle dans le présent réel.
La notion d'intention rend cette traduction possible.
- La finalité : définir la destination finale que l'on se fixe.
- Le projet : définir le "meilleur" chemin pour atteindre cette destination.
- L'intention : se doter de critères pour choisir, à chaque pas, le chemin possible le plus souhaitable.
La destination et le projet visent l'atteinte d'un lieu extérieur.
L'intention vise l'atteinte d'un état intérieur.
Visiter Rome en dix jours est un projet. Vivre joyeux à chaque instant est une intention.
Atteindre le sommet de l'Everest est une finalité (bien transitoire car une fois la destination atteinte, que faire ?) alors que prendre, en tout, le chemin qui monte le mieux est une intention.
Remplir les trois conditions d'équilibre du système socioéconomique est une finalité (pour laquelle on peut imaginer mille projets et plans comme le font les idéologues de tous poils). Comme l'idée d'économiser l'énergie en est un projet rabâché, depuis vingt ans, au travers des réguliers spots télévisuels récurrents … avec pour conséquence une augmentation constante, d'année en année, de la consommation moyenne des ménages.
Il faut donc sortir des déclarations d'intention, des promesses électorales et des effets d'annonce, et passer à l'action quotidienne réelle. Il faut traduire la finalité (pour laquelle, rappelons-le, nous n'avons plus le choix si l'on veut éradiquer le cancer qui nous ronge) en intention c'est-à-dire en choix réels permanents.
Et voilà ce que cela donne …
Le travail que je fais et les produits que j'achète doivent remplir, conjointement, trois conditions :
- être excellent pour ma santé physique, morale et mentale ;
- être excellent pour la Nature, la Vie et la Terre ;
- être porteur de bonne valeur et de bonne richesse pour l'ensemble de l'humanité.
Tout travail ou produit ne satisfaisant pas ces trois critères conjoints, doivent être impitoyablement rejetés, boycottés et combattus.
On comprend que là, nous sommes loin du vœu pieux. Nous sommes, au contraire, au cœur de la responsabilité personnelle, quotidienne, réelle. Cela traduit, en termes concrets et pratiques d'aujourd'hui, la notion de "Principe Responsabilité" que le philosophe juif allemand Hans Jonas avait établi dès 1979.
On remarquera qu'une telle transcription de la finalité globale du système socioéconomique abolit les grands programmes de la machinerie politicienne dont l'inefficience et le pouvoir de nuisance ne sont plus à démontrer. La révolution qui s'annonce - et qui s'avère vitale pour l'humanité - sera une révolution bottom-up, du bas vers la haut, par exemplarité, par contagion, par capillarité.
Il ne s'agit ni de lois, ni de campagnes, ni de subsides : il s'agit de responsabilité personnelle immédiate. Il suffira de regarder le caddie de quelqu'un pour savoir, immédiatement, si l'on a affaire à un salaud (pour reprendre le vocabulaire de Sartre) ! Il suffira, aussi, de savoir pour qui chacun travaille, pour le classer dans la catégories des crapules !
Le fait de devoir "gagner sa vie" ne peut plus jamais être une excuse. Les SS nazis et les Polonais employés dans les camps de concentration gagnaient aussi leur vie. Les usines de fabrication de mines anti-personnel, aussi. Les empoisonneurs des industries agroalimentaires et de la grande distribution, aussi. Les spéculateurs des grandes banques scélérates, aussi.
Que chacun prenne ses responsabilités. Enfin !
Marc Halévy, 25 février 2013.