Assemblage et excroissance
Par sa forme et son organisation, le Tout est la "cause" de ses parties.
Par leur fonctionnement et leurs propriétés, les parties sont la "cause" du Tout.
C'est cela la relation dialectique ou dialogique entre le Tout et ses parties.
Mais, plus un système est complexe, plus le Tout peut se passer de certaines de ses parties, mais plus aucune partie ne peut plus se passer du Tout - ce qui n'est jamais le cas pour les systèmes mécaniques où le Tout a impérativement besoin de toutes ses parties pour fonctionner alors que chaque partie est son "tout" par elle-même.
Cette relation de dépendance entre Tout et parties est essentielle : dans un système complexe, c'est la partie qui dépend du Tout alors que dans un système mécanique, c'est le Tout qui dépend de ses parties.
Cela explique qu'un système mécanique soit un assemblage de parties, alors qu'un système complexe est une émergence morphique holistique.
Autrement dit, dans un système complexe, c'est la forme globale qui préexiste et qui "attire" les composants alors que, dans un système mécanique, les composants préexistent indépendamment du système qui résulte de leur assemblage.
La hache primitive (système mécanique) naît de la rencontre - fortuite ou imaginée - d'une pierre plate, d'un bois fendu et d'une liane souple qui, tous trois, sont déjà là ; alors que le chêne (système complexe) pousse dans la "forme" déjà inscrite dans le gland et se fabrique pour lui-même les cellules qui le composeront.
De ces deux modalités de construction (assemblage et émergence), seul l'assemblage a été étudié par les classiques sciences analytiques qui, de ce fait, ont toujours été incapables de comprendre les ressorts de la complexité et la genèse des systèmes et processus complexes.
Les sciences classiques, parce qu'elles pensent le réel en termes d'assemblage, sont des sciences "additives" (le Tout est la somme de ses parties) et conservatives (les parties se conservent même si le Tout s'effondre) ; le langage mathématique leur est donc parfaitement bien adapté.
Il n'en va pas du tout de même pour les processus complexes où il ne s'agit plus du tout d'assemblages additifs et conservatifs, mais d'émergences autopoïétiques (donc non additives) et néguentropiques (donc non conservatives).
Un système mécanique est assemblé du dehors ; un système complexe pousse du dedans.
Dans l'univers de la complexité, à l'évolution par assemblage, il faut substituer une évolution par croissance ou, mieux, par excroissance.
Marc Halévy, 4 janvier 2014.