Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

L'intelligence artificielle n'existe pas

Un ordinateur est et restera définitivement une mécanique stupide et inintelligente qui ne fait qu'amplifier l'intelligence - bénéfique ou maléfique - de son concepteur-programmeur.

Qu'est-ce qu'un ordinateur ? C'est une machine, donc une mécanique, qui n'est capable que d'une seule chose : additionner des 0 et des 1 selon un programme qu'un programmeur humain a conçu et encodé. Ce programme est une séquence linéaire, souvent arborescente,  d'instructions élémentaires contenant des séries itératives liées à des incrémentation d'un  des paramètres.

L'évolution technique a fait passer des codes aux méta-codes, des instructions aux méta-instructions, des langages aux méta-langages et des programmes aux méta-programmes.

Ces derniers sont des programmes au second degré qui engendrent eux-mêmes de nouveaux programmes, mais toujours selon le principe et la logique voulus par le concepteur. Un ordinateur n'invente que ce qu'on lui dit d'inventer et comment on lui dit d'inventer.

 

S'il est doté des méta-programmes adéquats, un ordinateur pourra intervenir sur ses propres programmes pour les corriger et/ou les améliorer. Il peut donc devenir auto-apprenant. Mais il faut prendre garde à ne pas tomber dans le piège des mots : cet auto-apprentissage se réalise selon des principes, des logiques et des programmes dûment conçus et encodés par un concepteur humain. L'ordinateur ne fait, en ces cas, que prolonger ou amplifier quantitativement - mais non qualitativement - l'intelligence humaine ; il n'invente rien. Il est passif, ne crée rien. Il est seulement doté d'une colossale puissance de calcul qui lui permet de réaliser un nombre astronomique d'instructions par nanoseconde ; mais ces instructions ne sont que des produits directs ou dérivés de la seule intelligence humaine.

 

Si personne n'appuie sur le bouton "start" ou si personne n'a programmé un "start" automatique, il ne se passera jamais rien. Un ordinateur ne prendra jamais une quelconque initiative. Il est une machine mécanique, donc passive, docile, dépendante. Il peut simuler une forme d'autonomie, mais il faut qu'il ait été programmé pour cela.

 

Qu'est-ce que l'intelligence ? Ce concept va évidemment infiniment plus loin que l'aptitude logico-déductive que mesure - mal - la notion de "quotient intellectuel" (QI). Comme son étymologie l'indique, l'intelligence est la capacité de relier entre eux des éléments apparemment étrangers l'un à l'autre pour créer une idée, par exemple. L'intelligence fonctionne par association analogique, essentiellement. Pourquoi et comment l'intelligence fonctionne-t-elle ? Pourquoi et comment une idée neuve et inédite surgit-elle à un moment imprévu ? Dans ce processus complexe, irréductible à un quelconque programme linéaire, séquentiel ou analytique, interviennent des capacités mystérieuses que l'on appelle "inspiration" ou "intuition" ou "émotion" ou "sensibilité".

Toutes choses dont un ordinateur - qui est une mécanique programmatique - est ontologiquement exclu.

 

Le fond de l'erreur commise est bien connu : toutes les sciences cognitives se sont construites sur une analogie fausse - radicalement fausse - qui pose que le cerveau humain fonctionne comme un ordinateur avec mémoire (disque dur), programmes, etc … C'est le dernier avatar en date du mécanicisme. Dans la réalité, ce n'est pas le cerveau qui mémorise, pense, prend conscience, se relie au monde ; c'est le corps entier, le cerveau n'en étant que la plate-forme logistique.

 

L'intelligence artificielle, cela n'existe tout simplement pas. Il existe, en revanche, des systèmes experts, parfois très compliqués - mais non complexes - et très sophistiqués qui permettent de simuler des processus intellectuels humains pourvu que ceux-ci soient suffisamment peu complexes pour pouvoir être analysés et programmés.

Ainsi, par exemple, au moyen de méta-programmes sophistiqués qui formaliseraient adéquatement les règles lexicales, syntaxiques, rimiques et rythmiques de la langue française, on peut, sans trop de problème, faire écrire de jolis poèmes inédits par un ordinateur. Si l'on programme, en sus, un générateur aléatoire de mots, de rimes, de nombre de pieds, ces poèmes pourront contenir d'hallucinantes images poétiques, d'hilarants jeux de mot, de fantastiques suggestions mystiques.

Mais il faut être clair, l'ordinateur qui pondra de tels poèmes, n'en comprendra jamais le sens et n'en éprouvera jamais la moindre émotion (le sens et l'émotion sont deux des multiples manifestations holistiques d'une pensée vivante, irréductible à quelque programme que ce soit). Un ordinateur, quel qu'il soit, est totalement, définitivement et foncièrement inintelligent.

 

Cela ne veut pas dire que les systèmes-experts ne puissent pas constituer un réel danger sérieux pour les hommes - du moins pour ceux qui ne les conçoivent pas, qui ne les programment pas, qui ne les pilotent pas. Bien au contraire ; des géants industriels et sans scrupule comme Google, Apple ou FaceBook sont des tyrans potentiels dramatiques. Déjà aujourd'hui, leur terrorisme numérique est hallucinant : il vous traque, vous enregistre, vous espionne, vous dénonce … Il pourrait en sortir un totalitarisme des systèmes-experts, un peu comme celui décrit par George Orwell dans "1984" ou par Aldous Huxley dans "Brave new world" ("Le meilleur des mondes").


Marc Halévy, 4/9/2015.