Le problème du mal
Empiriquement, il ne semble pas exister beaucoup de corrélation entre l'éthique d'une personne et son sort social ou individuel : des crapules sont riches et heureuses, et des saints sont meurtris et vilipendés.
Depuis toujours cette incongruité tarabuste la pensée philosophique : n'est-ce pas là une injustice majeure et flagrante? Dieu n'est-il pas ou ne doit-il pas être juste, voire le Juste par excellence? La mère Nature pourrait-elle être marâtre à ce point?
Cinq idées tentent de résoudre ce paradoxe apparent :
- Ce monde (ou Dieu) est absurde et injuste, et toute morale est artificielle.
- Je suis bien (mal) dans ma vie, c'est donc que ce que je fais, est bien (mal), malgré les apparences ou les dires.
- Je suis bien (mal) dans ma vie, c'est donc que j'ai dû faire du bien (du mal) sans m'en rendre compte.
- Je serai récompensé (puni) après ma mort, dans l'autre monde qui seul importe.
- Je suis l'héritier de biens (de maux) venus d'une vie antérieure.
Ces deux dernières thèses sont respectivement celles des religions sotériologiques et karmiques.
Il y a une sixième thèse qui est celle du judaïsme ancien (celui d'avant la croyance pharisienne en une vie et un jugement après la mort) : faire bien est sa propre récompense comme faire mal est sa propre punition. La récompense ou la punition n'est pas au bout du chemin, c'est le chemin lui-même qui est récompense ou punition.
Le "Traité des Pères" (1,3) le confirme : "Vous ne deviendrez pas comme des servants qui eux coopèrent avec le maître pour de cela en recevoir rétribution, mais devenez comme des servants qui eux coopèrent avec le maître sans de cela en recevoir rétribution".
Il n'y a ni justice en ce monde, ni jugement dans un autre monde. Il n'y a pas de calculs, il n'y a pas de pesées, il n'y a pas de rétribution. La seule joie vient de l'accomplissement de soi ou de l'autour de soi, ici et maintenant.
Ni le Ciel, ni la Terre ne jouent aucun rôle là-dedans.
La force gravitationnelle n'est ni une récompense, ni une punition ; elle est, c'est tout. Si la chute fait mal, cette douleur n'est que du fait de celui qui marche mal, qui ne fait attention ni aux obstacles du bas, ni aux éboulements du haut.
Les notions de justice et de morale sont des concepts purement humains qui ne concernent que les humains ; les attribuer à Dieu ou à la Nature relève de projections fantasmagoriques, d'anthropomorphismes puérils.
N'ai-je pas entendu, quelque part : "Faites le bien pour l'amour du bien lui-même" ?
Le "Mal" n'est mal que pour l'homme. Les turpitudes, cupidités et cruautés humaines laissent Dieu absolument indifférent. L'homme est seul face à son âme.
Les "commandements" de la Torah sont des conseils donnés à l'homme assorti d'une promesse de plénitude. Que les hommes les appliquent ou non, indiffère royalement Dieu.
La seule chose qui importe à Dieu, c'est son propre accomplissement, avec ou sans la contribution des hommes. Ceux qui y contribuent, connaissent, la joie de la plénitude : les autres pas, voilà tout.
Dieu n'aime ni ne déteste les hommes ; il soutient ceux qui le servent et laisse croupir les autres ; c'est ce croupissement que les hommes appellent le "mal" car il leur fait mal.
Marc Halevy, 27 avril 2016.