Perfection …
Le dualisme entre une Perfection idéaliste et l'imperfection du réel vécu doit être dénoncé et rejeté. Il ne s'agit pas d'accepter, de guerre lasse, avec tristesse et découragement, que le monde réel soit imparfait. Il s'agit d'affirmer que les concepts de Perfection et d'imperfection sont absurdes, vides, ineptes, et qu'il faut impérativement les éradiquer.
La conséquence immédiate et mécanique de ce rejet conceptuel est l'éradication subséquente de tous les idéalismes et, avec eux, de tous les théismes et de tous les dualismes.
L'idée de Perfection est l'idée la plus funeste et la plus destructrice de toute l'histoire de la pensée humaine.
L'idée d'un Dieu transcendant, créateur, extérieur au monde, naît avec celle de Perfection.
Le monde est imparfait (inachevé, inaccompli, en marche) et, dès lors que l'on croit en l'idée de Perfection, elle doit exister réellement et se situer, fatalement, hors du monde essentiellement imparfait.
Tout monothéisme conséquent, en tant que dualisme ontologique séparant un mode de la Perfection et un monde de la Vie, doit nécessairement établir un pont entre ces deux mondes. Il faut qu'existe un passage de l'un à l'autre, dans les deux directions, pour que cette doctrine de la Perfection divine puisse prendre sens et valeur aux yeux de ceux qui vivent dans le monde de la Vie.
Aussi lui faut-il nécessairement, mettre en place un dispositif assurant, dans une direction, le passage de la Perfection vers la Vie (Création, Révélation, Incarnation, Rédemption, …) et, dans l'autre direction, le passage de la Vie vers la Perfection (âme personnelle immortelle, vie après la mort, jugement ou pesée des âmes, paradis ou enfer, …).
Dès lors, lorsqu'on élimine l'idée absurde de Perfection, tout ce dualisme ontologique s'effondre et, avec lui, toutes les doctrines de type idéaliste ou monothéiste.
Dieu n'est pas ce phantasme statique et mort de ce qui est absolument et définitivement parfait. Dieu est l'expression dynamique ce qui est définitivement et absolument vivant !
La Perfection est la négation de la Vie.
La Vie est la négation de la Perfection.
La Perfection est incompatible avec la Vie.
La Vie est incompatible avec la Perfection.
Dès lors que l'on définit Dieu en termes de Perfection absolue, il faut sortir radicalement Dieu du monde la Vie et inventer, pour Lui, un autre monde : celui de la Perfection absolue.
Dualisme ontologique incontournable.
Le monde de Perfection serait-il un monde futur (un "monde qui vient") ou un monde parallèle (un au-delà définitif qui absorbe tout ce qui vient du monde de la Vie) ou un astucieux mélange des deux (un au-delà provisoire en attente de fin des temps, de parousie, de résurrection des morts et de jugement dernier) ? Les diverses traditions idéalistes et monothéistes ont longtemps hésité - et hésitent toujours. Les idéologies socialo-gauchistes qui les prolongent, ont opté, naturellement, laïcité et athéisme obligent, pour un monde futur, à venir : celui des "lendemains qui chantent", après le "grand soir". Nous sommes là dans la même eschatologie religieuse, mais désacralisée, dédivinisée, laïcisée.
En fin de compte, répétons-le : le problème n'est pas de renoncer à la Perfection en déplorant amèrement l'imperfection de tout ce qui existe dans le Réel. Le problème est de comprendre que l'idée même de Perfection est vide, absurde et inepte.
Perfection …
Ce concept est à la base de toutes les doctrines idéalistes, qu'elles soient religieuses ou idéologiques, et, partant, de toutes les doctrines dualistes, monothéistes et … totalitaires (tout doit être inféodé à la quête de cette Perfection qui est forcément unique et incontournable).
Le hic est que la notion de Perfection est radicalement absurde, vide et inepte.
En effet …
Parfaire quelque chose, c'est l'achever, le peaufiner, l'amener à la plénitude de sa réalisation, le conduire à son état le plus sublime, etc …
Il suffit de lire cette définition pour voir qu'il s'agit d'une insidieuse et vicieuse tautologie : parfaire quelque chose, c'est l'amener à la (sa) perfection. Et, symétriquement, la perfection est l'état de quelque chose qui a été parfait. L'idée d'achèvement qui frémit à l'arrière-plan, appelle l'image d'un ouvrage que l'on fait et que l'on arrête, la tâche étant "parfaitement" achevée. Oui mais voilà : dans le Réel, rien n'est jamais parfaitement achevé ; le meilleur artisan considèrera son œuvre achevée lorsque son œil ne verra plus de défauts et lorsqu'il jugera qu'un supplément de soin non seulement, n'apportera pas plus de valeur à son œuvre, mais qu'au contraire il risquerait de la gâcher.
On comprend donc assez vite que la notion de "perfection" est toujours relative à l'œil qui l'évalue. Dès lors, la notion de Perfection absolue n'a aucun sens.
Pour le dire plus crûment : la "Perfection" est toujours relative à un phantasme humain !
Plus philosophiquement, est parfait ce qui correspond "parfaitement" (tautologie, encore) à un ordre, une échelle, un critère, une doctrine préétablis ; il n'y a plus aucun "progrès" envisageable et plus rien ne peut plus évoluer vers quelque "mieux" que ce soit.
C'est Descartes - le funeste Descartes, encore lui - qui définit la Perfection au sens "absolu" qu'il lui donne ("Réponses aux secondes objections") :
"La substance que nous entendons être souverainement parfaite et dans laquelle nous ne concevons rien qui enferme quelque défaut ou limitation de perfection, s'appelle Dieu."
Dieu est parfait puisque le Perfection est Dieu. Voilà un grand pas en avant dans l'histoire de la philosophie.
Pour Spinoza (préface à la 4ème partie de "Ethique"), la Perfection est l'exacte correspondance entre l'œuvre finale et le projet initial, le modèle originel. Il écrit, contre Descartes :
"Perfection et imperfection ne sont donc, en vérité, que des manières de penser, à savoir, des notions que nous forgeons habituellement du fait que nous comparons entre eux des individus de même espèce ou de même genre : et c'est cette raison que j'ai dit plus haut que, quant à moi, par réalité et par perfection, j'entends la même chose."
Leibniz ne dit pas autre chose et absorbe la notion de "perfection" dans celle de maximum : est "parfait" ce qui a atteint la limite indépassable : la perfection, c'est ce qui reste "bloqué" dans un certain stade de progression.
Descartes est donc bien le chantre du dualisme idéaliste que l'on connaît, dans le fil de Pythagore et Platon, et avant Kant. Spinoza et Leibniz, tout au contraire, annihilent l'idée de Perfection et affirment le monisme radical du seul monde de la Vie en posant Dieu non comme Perfection absolue, comme le principe même de la Vie absolue dans l'imperfection du Réel.
Marc Halévy, février 2017.