Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

De la Plénitude

La grande loi universelle.

L'intention profonde (l'âme, anima, ce qui anime) qui est le moteur premier de tout ce qui existe, est la plénitude de soi.

L'accomplissement, au quotidien, de cette plénitude est la lente et, souvent, laborieuse quête du trajet qui réalisera ce projet. Et le moteur intime de ce processus d'accomplissement est l'ensemble de toutes les tensions qu'il faut dissiper en progressant.

Cela est vrai pour le Réel pris comme un Tout, unitaire et organique. Cela est vrai pour la moindre parcelle de Matière, de Vie ou d'Esprit.

Cette idée de "plénitude de soi" est donc primordiale et fondatrice de tout le reste. Mais qu'exprime-t-elle réellement ?

Première approche …

La plupart des dictionnaires pointent vers l'idée de complet épanouissement.

La métaphore qui me vient, est celle du trajet qui mène de la graine à l'arbre.

Le désir et l'intention de la graine est de germer et de pousser pour devenir totalement l'arbre qu'elle contient déjà, afin que celui-ci réalise tous les possibles, toutes les promesses déjà là, par tous les chemins possibles, … en dialectique permanente avec le sol, l'eau, le vent, la lumière (Terre, Eau, Air, Feu) … et avec les oiseaux et les écureuils, avec les insectes et les larves, avec les terriers et les nids, avec les champignons et les lichens, … et avec les racines et les branches des autres arbres, coopérants ou concurrents.

Seconde approche …

La plénitude pointe vers le fait d'être plein, d'être totalement rempli. Mais se remplir de quoi ? De tout ce qui existe, de toute Matière, de toute Vie et de tout Esprit, ces trois fondements de tout ce qui existe dans et autour le monde humain. La plénitude, alors, signifie "vivre pleinement" toutes les dimensions du Réel : être totalement présent à la Présence. On parle alors de Joie ou de profonde jouissance de la Matière, de la Vie et de l'Esprit ; il ne s'agit ni de plaisir, ni de bonheur, mais de bien plus, bien plus haut que toutes les émotions et que tous les sentiments humains. Il s'agirait plutôt d'une plénitude, d'une joie, d'une jouissance "océaniques" selon la belle expression de Romain Rolland dans sa correspondance avec Sigmund Freud (et à laquelle celui-ci n'a évidemment rien compris).

Romain Rolland, inspiré par Baroukh Spinoza, écrit ceci dans une lettre à Freud, lettre écrite en réaction à cette imbécillité que fut "L'avenir d'une illusion", commis par le charlatan intoxiqué, jusqu'à la moelle, non seulement de cocaïne, mais aussi de positivisme, d'athéisme, de mécanicisme, de matérialisme :

" Mais j’aurais aimé à vous voir faire l’analyse du sentiment religieux spontané ou, plus exactement, de la sensation religieuse qui est (…) le fait simple et direct de la sensation de l’éternel (qui peut très bien n’être pas éternel, mais simplement sans bornes perceptibles, et comme océanique).
      Je suis moi-même familier avec cette sensation. Tout au long de ma vie, elle ne m’a jamais manqué ; et j’y ai toujours trouvé une source de renouvellement vital. En ce sens, je puis dire que je suis profondément « religieux », – sans que cet état constant (comme une nappe d’eau que je sens affleurer sous l’écorce) nuise en rien à mes facultés critiques et à ma liberté de les exercer – fût-ce contre l’immédiateté de cette expérience intérieure. J’ajoute que ce sentiment « océanique » n’a rien à voir avec mes aspirations personnelles. (…) C’est un contact – Et comme je l’ai reconnu, identique (avec des nuances multiples), chez quantité d’âmes vivantes, il m’a permis de comprendre que là était la véritable source souterraine de l’énergie religieuse ; – qui est ensuite captée, canalisée, et desséchée par les Églises : au point qu’on pourrait dire que c’est à l’intérieur des Églises (quelles qu’elles soient) qu’on trouve le moins de vrai sentiment « religieux ». Éternelle confusion des mots, dont le même, ici, tantôt signifie obéissance ou foi à un dogme, ou à une parole (ou à une tradition), tantôt : libre jaillissement vital."

Et ailleurs, la même idée, mieux explicitée :

"Une mer bouillonnante s’étend ; chaque note est une goutte, chaque phrase est un flot, chaque harmonie est une vague. […] C’est l’Océan de vie […]. Et cette mer de tendresse est toute pénétrée d’un soleil invisible, une Raison extasiée dans l’intuition sacrée du Dieu, de l’Unité, de l’Âme universelle. (…)  L’âme qui palpite en ces corps de musiciens ravis par l’extase n’est pas une âme, c’est l’Âme. C’est la vôtre, c’est la mienne, c’est l’unique, – la Vie. Ego sum Resurrectio et Vita…"

Vers une synthèse …

Il me semble que ces deux approches sont complémentaires car aller tout au bout de soi-même et se réaliser complètement, n'est-ce pas aussi réaliser pleinement et aller au bout du Tout que l'on a en soi et autour de soi ?

Cela semble une évidence pour ces "parties" du Tout que nous sommes tous. Mais pour le Tout-Un qui, lui, n'a rien autour de lui, que reste-t-il ? La seule première approche : aller au bout de lui-même et épuiser tous ses possibles en réalisant toutes ses potentialités. Voilà donc la grande et unique loi universelle qui pousse et guide toutes les évolutions locales ou globales.

Marc Halévy, le 01/11/2018