Tisserand de la compréhension du devenir
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Qu'est-ce que la Connaissance ?

Pourquoi l'enseignement rend aujourd'hui les jeunes inaptes à la Connaissance ? Les trois piliers.

Avant toute considération, il faut insister : toute connaissance de quoique ce soit est une représentation de la chose étudiée. Elle porte sur les manifestations de cette chose (elle est phénoménologique) et non sur la chose en soi (elle n'est pas nouménale).

L'appréhension de l'en-soi de la chose ne relève pas de la connaissance rationnelle, mais d'une démarche intuitive d'une autre nature. Ce n'est pas de cela dont il sera question ici.

Construire une connaissance d'une chose revient, ainsi, à construire une représentation adéquate de cette chose. Par adéquation, il faut entendre que les faits nouveaux concernant la chose, vont pouvoir trouver leur place dans la représentation, au fur et à mesure de leur apparition.

Connaître une chose, c'est disposer d'une représentation de cette chose apte à rendre compte de toutes ses manifestations ultérieures. Si ce n'est pas le cas, la connaissance que l'on a, devra être soit complétée, soit abandonnée pour fausse.

La connaissance est donc évolutive selon un balancement dialectique entre la représentation ancienne et les faits nouveaux. On dira qu'une connaissance est robuste ou fiable si elle résiste convenablement à l'épreuve des faits nouveaux.

Dans ce qui précède, il est parlé de "la chose". Celle-ci ne se limite pas à un objet matériel, tangible. Elle peut symboliser n'importe quelle manifestation réelle, objectale ou processuelle. Ainsi, par exemple, on peut connaître un être vivant par son anatomie (approche objectale) comme par son comportement (approche processuelle). Ou un moteur par ses composants (approche objectale) ou par son fonctionnement (approche processuelle). Ou un groupe humain par l'identité de ses membres (approche objectale) ou par ses interactions internes ou externes (approche processuelle).

Symétriquement, la connaissance que l'on a d'une chose, peut être holistique ou analytique. Dans le premier cas, la chose objectale ou processuelle est prise comme un tout indissociable que l'on veut représenter globalement. Dans le second, la chose sera disséquée (en réalité ou en pensée) afin d'en déterminer les composants et leurs relations réciproques.

Pour connaître une chose, trois dimensions complémentaires sont indispensables.

  1. D'abord, il faut collecter, classer et organiser une bonne quantité de faits concernant la manifestation de cette chose. Il faut donc de la mémoire sur la chose. Ces faits recueillis, classés et organisés dans la mémoire, doivent être les plus authentiques possibles c'est-à-dire refléter la réalité des manifestations observées. L'authenticité des faits dépendra donc de la qualité de l'observation (la rigueur et la précision de son protocole) et des instruments (physiques ou mentaux) mis en œuvre pour cette observation. Il ne faudra donc jamais oublier que tout instrument ouvre une fenêtre limitée et déformante au travers de laquelle l'observation se fera. Toute observation sera donc partielle et partiale. Partielle parce que l'instrument utilisé ne "voit" rien en dehors de sa fenêtre. Partiale parce que tout instrument d'observation repose, implicitement, sur une grille de lecture prédéfinie et ne "voit" que certains éléments au détriment des autres.
  2. Ensuite, il faut encore un langage apte à relater, à exprimer, à porter et à travailler le fruit des observations sans trop les trahir, sans trop les déformer, sans trop les appauvrir. Tout langage, par essence, repose sur un lexique et sur une syntaxe dont les capacités ne sont pas infinies. La complexité intrinsèque du langage utilisé doit être du niveau de la complexité de la chose étudiée. Sinon, très logiquement, la transcription de la chose dans ce langage sera appauvrie et ne pourra pas rendre compte de la richesse des manifestations observées. Ce rapport de complexité entre la capacité du langage et la réalité de la chose est fondamental. Par exemple, la comptabilité d'une entreprise est un langage apte à rendre compte des aspects quantitatifs de cette entreprise, exprimés en unité monétaire. Mais le tout de l'entreprise, loin s'en faut, n'est pas réductible à des quantité monétaire. Le langage comptable est donc infiniment moins riche que ne l'est l'entreprise prise comme un tout à la fois humain, technique, financier, commercial, managérial, culturel, informationnel et éthique. De même, sous la lointaine impulsion de Galilée, mais surtout durant le 19ème siècle, la physique théorique s'est totalement mathématisée en faisant le choix de la puissance et de la rigueur du langage mathématique. Mais s'était oublier que la réalité de l'univers est beaucoup plus riche, plus souple, plus foisonnante que ce que peut en rendre la rigidité mathématique. Toute l'histoire de l'humanité foisonne d'inventions langagières : les langues parlées et écrites, la musique, la peinture et le dessin, les mathématiques, les symboles, les langages graphiques et schématiques, les langages informatiques et algorithmiques (les langages des ordinateurs), etc …Tous ces langages sont aptes à rendre compte de certains aspects de la manifestation du Réel, mais non de tous, très loin s'en faut. Le choix du langage le moins inadéquat est donc un vrai souci pour exprimer de la connaissance.
  3. Enfin, doté de la mémoire des faits et du langage adéquat pour les exprimer, il faut encore actionner le travail de l'intelligence qui devra relier ces éléments cognitifs épars pour en faire un tout cohérent appelé "connaissance de la chose". Ce travail appelle une méthode. L'étymologie grecque de ce terme est éclairante : méta (au-delà, vers) et odos (route, chemin). La méthode est une cheminement balisé qui permette de passer d'un agglomérat à une structure, d'une collection éparse à un tout cohérent. Selon que l'approche est objectale ou processuelle, analytique ou holistique, quatre famille méthodologiques s'imposent : les méthodes mécanistes (analytiques et objectales), les méthodes algorithmique (analytiques et processuelles), les méthodes systémiques (holistiques et objectales) et les méthodes anagogiques (holistiques et processuelles). A titre d'exemple, la "méthode" de Descartes appartient aux méthodes mécanistes qui, comme leur nom l'indique, ne conviennent pas aux choses organiques complexes qui appellent, plutôt, des méthodes holistiques.

En résumé, pour construire une connaissance, il faut une mémoire de faits accumulés, un langage efficient de représentation et une méthode intelligente de reliance.

Et, bien sûr, ces trois dimensions doivent se répondre harmonieusement.

Ainsi, les observations et méthodes mécanistes appellent des langages également mécanistes (objectaux et analytiques comme le sont la plupart des langages humains). Les langages symboliques sont plus adéquats lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre des méthodes anagogiques qui proposent une "montée" progressive vers la connaissance globale et vivante de la chose, comme sur un chemin initiatique.

Les méthodes systémiques appellent, eux, plutôt des langages multidimensionnels (les langues humaines naturelles sont linéaires car liées à l'oralité) comme le sont les langages graphiques et schématiques. Les méthodes algorithmiques requièrent, bien sûr, des langages de type programmatique comme le sont les langages informatiques.

Mémoire. Langage. Méthode.

Ces trois piliers de tout acte de connaissance doivent aussi être les trois piliers de toute pédagogie. Apprendre, c'est apprendre à connaître, donc apprendre à observer, classer et organiser des faits, apprendre à maîtriser des langages variés, les plus riches et précis possibles, et apprendre à utiliser son intelligence par le biais de différentes méthodes de travail dans les quatre catégories proposées.

Faut-il le constater, une fois encore ? Aucun de ces trois piliers essentiels n'est plus enseigné valablement, aujourd'hui, aux jeunes. On les rend inaptes à la connaissance.

Marc Halévy, décembre 2016.