Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Une nouvelle philosophie des sciences

Passer de l'équation à la simulation.

Les théories physiques de la relativité ou de la quanticité ne sont que des langages, donc des formalismes, qui permettent de mathématiser certains problèmes que le langage trop simpliste de la physique classique (galiléenne, newtonienne) était incapable de traiter.

Derrière ces formalismes se cachent, bien sûr, des intuitions métaphysiques (les discussions âpres entre Einstein et Bohr en témoignent), dans le cadre de la foi galiléenne en la "mathématisabilité" du Réel. Mais il faut prendre garde - et de nombreux philosophes des sciences actuels sont tombés dans ce piège - de confondre ces formalismes langagiers et ces intuitions métaphysiques.

L'incompatibilité foncière entre l'approche relativiste et l'approche quantique ne relèvent pas seulement des formalismes en usage, mais relèvent surtout de postures métaphysiques inconciliables l'une ontologique, poétique et mystique, l'autre phénoménologique, technique et pragmatique.

Il me paraît clair que la posture quantique ne tiendra plus très longtemps : elle vacille déjà dangereusement à force de recourir, de plus en plus, à des hypothèses fantasmagoriques, injustifiables et invérifiables, pour "sauver le bateau qui coule".

Ce sera donc la métaphysique ontologique qui devra triompher, mais le formalisme relativiste n'y survivra pas non plus car, lui aussi, pour sauver le modèle standard cosmologique, doit recourir, sans cesse, à des hypothèses supplémentaires de plus en plus abracadabrantesques.

La physique de demain sera construite sur une métaphysique ontologique (au-delà, donc, des métaphysiques phénoménologiques actuelles) qui, pour triompher des impasses actuelles, devra aussi être téléologique, holistique et processuelle.

La vraie question qui demeure est celle de la réelle mathématisabilité du Réel (et donc de la foi galiléenne qui en est le fondement).

Personnellement, je ne crois plus, depuis des années, que le Réel soit réellement mathématisable (sauf exception dans les cas les plus rudimentaires) ; le langage mathématique est trop analytique, mécanique, "fermé", causaliste, idéalisant, trop prisonnier de la notion de l'infini (notamment dans le calcul infinitésimal indispensable à la mise en équation telle qu'actuellement pratiquée) car, dans le Réel, rien n'est infini.

En revanche je pense que le Réel est plus algorithmisable puisqu'il est un processus en construction permanente qui met en application des recettes génératives d'émergences ; mais il faudra alors que les langages algorithmiques sortent du carcan simpliste et analytique imposé par le mécanicisme des machines numériques.

Il ne s'agira plus de mettre en Réel en équation, mais de le mettre en simulation.

Il ne s'agira plus de le quantifier, mais de le reproduire ou de le mimer.

Au fond, un phénomène physique est une boîte noire.

On observe des intrants et des  extrants. Le but de la science est de comprendre ce qui se passe dans la boîte noire. Le physique classique mesure les intrants et les extrants, obtient des nombres et tente, alors, de trouver des équations mathématiques qui rendent compte, le mieux possible, avec le plus de précision possible, de la relation "causale" entre extrants et intrants.

Les limites de cette méthode sont évidentes :

  • Dès lors que la mesure des intrants et extrants interagit lourdement avec eux, cette mesure perturbe fondamentalement le phénomène au point de ne plus rien signifier ;
  • Si la "boîte noire" est trop petite ou trop grande et sort complètement de l'horizon mésoscopique de l'homme (même augmenté de ses prothèses technologiques surpuissantes), le phénomène nanoscopique ou gigascopique devient inaccessible (c'est le cas tant en physique quantique "particulaire" qu'en physique relativiste "cosmologique") ;
  • Les équations que l'on peut trouver, traduisent les relations quantitatives entre intrants et extrants, mais ne disent rien du processus interne de la boîte noire.

Le grand défi de la physique de demain sera de simuler ce processus interne non pas en faisant appel à des lois équationnelles, mais bien à des "opérateurs algorithmiques universels" dont la mise en œuvre reproduira (mimera) le fonctionnement intime de la boîte noire jusqu'à produire les mêmes extrants au départ des mêmes intrants.

L'enjeu est évidemment colossal, mais oblige à renoncer aux concepts fondateurs de toute la physique actuelle comme l'espace-temps (il faudra parler d'espace des états), les objets (il n'y a pas d'objets particulaires dotés de masses, charges, spins, etc …, mais, seulement des configurations eidétiques exprimées par des facteurs de forme), les forces (il n'y a pas d'influence entre des objets, mais de perpétuelles reconfigurations d'un processus en vue d'atteindre son optimalité), les lois physiques (ces lois ne sont que des relations équationnelles entre intrants et extrants, sans rapport avec la réalité des phénomènes), etc …

Plus gravement encore, c'est la notion de causalité qu'il faudra abandonner.

David Hume écrit qu'un premier objet est cause d'un second qui le suit "de telle sorte que tous les objets semblables au premier sont suivis par des objets semblables eu second" et "de telle sorte que le second objet n'aurait pas existé sans l'existence du premier".

Autrement dit, la précédence doit être récurrente et non contingente.

Cette manière de voir est absurde car la récurrence parfaite et la non contingence parfaite n'existent jamais puisqu'on ne peut jamais négliger tous les autres facteurs d'ambiance et d'influence qui ne sont liés à aucun des deux "objets" (il vaudrait mieux parler d'événements).

La seconde partie de la définition de Hume interpelle car, en disant que A est cause de B si, en l'absence de A, B n'aurait jamais existé, il implique que ni A ni B n'auraient jamais existé si l'ensemble de tous les événements de l'univers depuis son origine n'avaient pas eu lieu. De là, il est aisé de comprendre que tout est cause et effet de tout, que tout est cohérent dans la cohérence du Tout et que la notion de causalité et la doctrine du causalisme s'effondrent toutes deux.

Il n'y a ni causes, ni effets : il y a un processus global qui fait évoluer ses configurations en cohérence tant dans l'espace (cohésion) et le temps (intention) que dans toutes ses autres dimensions.

Marc HALEVY, juillet 2018