La Franc-maçonnerie : un processus complexe ...
L'émergence et le développement du processus franc-maçonnique est un total sous-produit avec l'émergence et du développement du processus judéo-chrétien propre à l'Europe occidentale et à ses expansions coloniales, surtout nord-américaines.
Tout commence avec la fin de l'ère antique et la chute de l'Empire romain (vers 400) et le début de l'ère messianique qui se subdivisa en trois paradigmes successifs d'environ 550 ans chacun :
- celui de la Christianité (de 400 à 950) qui se termine avec l'effondrement de l'empire carolingien et le grand schisme d'orient entre catholicisme clérical et orthodoxie monacale ; il repose sur l'hégémonie des ordres monastiques, propagateurs inlassables de la foi chrétienne et grands défricheurs des zones non agricoles européennes ;
- celui de la Féodalité (de 950 à 1500) qui se clôt avec la Renaissance et qui s'appuie sur le pouvoir papal, suprême mais peu politique, coalisant (notamment contre les velléités islamistes) un immense réseau de petits pouvoirs militaires locaux qui forment des fiefs fortement architecturés entre eux par des liens de vassalité et de suzeraineté ;
- celui de la Modernité (de 1500 à 2050) qui, notamment du fait de l'invention de l'imprimerie à caractères mobiles (importée de Chine par Marco Polo et mise au point par Gutenberg), voit naître les Protestantismes (luthérianisme, calvinisme, anabaptisme, ...) et qui, politiquement, voit s'affirmer les Etats nationaux souverains sous tutelle royale la plupart du temps.
L'histoire de l'humanité, de chaque culture (notamment judéo-chrétienne européenne) et des grandes institutions durables (la Franc-maçonnerie, par exemple) est constituée d'une concaténation de cycles culturels (antique de -1250 à 400, messianique de 400 à 2050, ...) composé chacun de trois cycles paradigmatiques (cycles d'émergence, de stabilité et d'effondrement) d'environ 550 ans chacun. Le basculement d'un cycle (tant culturel que paradigmatique) au suivant passe par une période chaotique d'un demi siècle, environ (nous vivons, aujourd'hui, la fin du cycle culturel messianique – religieux puis idéologique – ET du cycle de la Modernité ... et vivons donc, à plein, une période chaotique (probablement de 1980/1985 à 2030/2035).
La Franc-maçonnerie n'échappe par à ces lois structurelles et architecturales de l'histoire humaine ...
Elle est l'héritière des savoir-faire des moines constructeurs du haut Moyen-âge, et elle est institutionnalisée, durant la période féodale, sous forme de corporations "franches" ayant leurs propres secrets de métiers.
Ces secrets de métier étaient protecteurs de leur fond de commerce et objet d'une transmission sacrale et communielle (dite initiatique) lorsque les temps d'apprentissage étaient terminés aux yeux des Compagnons du Métier, seuls détenteurs des savoir-faire spéciaux notamment en termes de géométrie. Ces corporations maçonniques avaient leurs propres statuts (approuvés par le chapitre des autorités ecclésiastiques et nobiliaires concernées). Leur mission première était de construire des édifices chrétiens (églises, cathédrales épiscopales, monastères, chapelles, etc ...) dont une des fonctions essentielles était d'être décorés de statues, bas-reliefs, chapiteaux, etc ..., représentations symboliques de faits bibliques édifiants pour une population très largement illettrées, incapables de la lire la Bible (d'ailleurs rare et hors de prix car recopiée sur vélin, à la main, avant que l'imprimerie ne vienne tout chambouler).
Avec la Renaissance, les "règles du jeu" maçonniques changent. Les Compagnons maçons demandent et obtiennent, la "liberté de passer" d'une région à l'autre (catholique, protestante ou orthodoxe), là où les appelaient les chantiers d'édifices religieux (leur unique spécialité) ... cette "liberté de passer" était assortie d'une clause forte et inouïe pour l'époque, de "devoir obéir aux lois et de pratiquer la religion du lieu où ses membres pouvaient travailler librement". La spiritualité maçonnique se place donc au-dessus des religions populaires ! Ce point est captal.
De plus, pour pouvoir être embauché sur un chantier lointain, il fallait pouvoir se faire reconnaître, à qui de droit, par les "mots, signes et attouchements" appropriés.
Mais l'architecture gothique tombe en désuétude. Une architecture "renaissante" d'inspiration gréco-romaine s'implante qui ne demande plus les savoir-faire architecturaux, techniques et surtout symboliques de pierre qui étaient l'apanage des corporations maçonniques médiévales. Les Loges périclitent et disparaissent peu à peu, surtout en Europe continentale. Mais ces lieux "au-dessus des religions" (cfr. supra), maîtres des symboliques, attirent des chercheurs spirituels (alchimistes, kabbalistes, mystiques, hermétistes, ...) que les dogmatismes, les fanatismes, les sectarismes et l'esprit inquisitorial de l'époque, rebutent (et pourchassent). Ainsi, subrepticement, les Loges maçonniques, d'opératives, deviennent peu à peu "spéculatives", déjà dès la fin du 16ème siècle, mais surtout au 17ème siècle, spécialement là où elles sont encore bien actives et bien vivantes en Ecosse, en Irlande et en quelques endroits d'Allemagne et de Scandinavie (comme en attestent les plus anciens documents préservés aujourd'hui : le Regius, le Cook, le Kilwinning, le Shaw, etc ...).
Les mots-clés qu'il faut retenir pour comprendre l'histoire maçonnique primordiale et fondamentale sont :
- spiritualité au-dessus des religions,
- métier,
- géométrie,
- pierre taillée et sculptée,
- initiation et cérémonies de réception et de transmission,
- secret,
- mots, signes et attouchements,
- judéo-christianisme (et biblisme),
- liberté de passage,
- etc ...
L'entrée dans le 18ème siècle viendra troubler profondément cette nouvelle Franc-maçonnerie ressuscitée. Le paradigme de la Modernité qui s'installe, en gros, depuis 1500, se subdivise en cinq siècles : celui de l'humanisme (le 16ème siècle de Montaigne, Erasme, Pic de la Mirandole, Thomas More, Giordano Bruno, Léonard de Vinci, ...), le rationalisme (le 17ème siècle de Descartes, Pascal, Spinoza, Galilée, Bacon, Hobbes, Locke, Leibniz, ...), le criticisme (le 18ème siècle de Kant, Jacobi, Mendelsohn, Adam Smith, Hegel, Bentham, Montesquieu, Hume, Goethe, ... et quelques pitres français comme Voltaire, Diderot, Rousseau ...), le positivisme (le 19ème siècle de Comte, Stuart-Mill, Schopenhauer, Nietzsche, Kierkegaard, ...) et le nihilisme (le 20ème siècle de Bergson, Whitehead, ... et de comiques français comme Sartre, Beauvoir, Derrida, Althusser, Foucault et quelques autres).
Les deux derniers de ces cinq siècles vont entrainer la Franc-maçonnerie, héritière du fabuleux et richissime 17ème siècle, sur deux voies très différentes et mutuellement incompatibles.
Du côté anglo-saxon (et de ses colonies : Etats-Unis, Canada, Inde, ...), la Franc-maçonnerie va de venir un refuge éthique et civilisationnel au-dessus des guerres des religions qui déchiraient à belles dents le quiétisme anglo-saxon ; la Franc-maçonnerie y revivifia cette esprit d'une éthique emprunte de biblisme et étrangère aux dogmes et fanatismes religieux, en se plaçant dans une strate spirituelle plus élevée.
Du côté français (et de ses conquêtes – surtout napoléoniennes – et colonies), triomphèrent l'antireligion, l'antispiritualisme, l'anticléricalisme, le matérialisme, l'idéologisme, l''athéisme militant, le gauchisme idéaliste et benêt (nommé, pour l'occasion "esprit des – soi-disant – Lumières"), etc ...
D'où divorce entre la Franc-maçonnerie anglo-saxonne héritière des traditions médiévales et une pseudo-Franc-maçonnerie franchouillarde, idolâtre de la "Révolution française" et du laïcisme[1] militant.
Mais depuis la fin de la première guerre mondiale, et suite à une claire mise au point écrite dans le document "Aims and relationship of the Craft", corédigé et cosigné par les Grandes Loges d'Angleterre, d'Ecosse et d' Irlande, ces principes furent diffusés, adoptés et entérinés dans le monde entier par toutes les grandes Loges nationales désireuses de renouer avec les véritables traditions maçonniques ancestrales ; depuis, il existe à nouveau une Franc-maçonnerie mondiale (incluant aussi des obédiences de France, de Belgique et de quelques autres rares pays, naguère accrochés aux délires et absurdités idéologico-athéisants du Grand Orient de France et de ses antennes et pseudopodes).
Un problème demeure cependant : celui d'une Franc-maçonnerie féminine. Quoique la mixité soit légitimement et naturellement exclue (les relations de Fraternité et de séduction étant mutuellement incompatibles), une Franc-maçonnerie féminine de grande qualité existe désormais dans de nombreux pays et devra être intégrée dans la grande famille de la Franc-maçonnerie régulière et reconnue (ce processus est en cours, notamment en Angleterre).
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[1] Merci au lecteur de bien différencier la laïcité comme expression de la stricte et indispensable séparation des pouvoirs politiques et cléricaux, et le laïcisme qui est une maladive obsessionnelle antireligieuse.