Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

L'émergence de l'idée de complexité.

Le paradigme de la complexité : une bifurcation d'avec la cosmologie moderne classique.

Un peu d'histoire ...

 

Tout en nous et autour de nous évolue tout le temps ... plus ou moins vite ... plus ou moins discrètement ou tapageusement, et notre existence, au jour le jour, est largement tributaire de ces changements permanents, parfois imperceptibles parfois grandguignolesques ...

La science n'a d'autre fonction que de modéliser, de la façon la plus fiable possible cette dynamique cosmique afin que chacun comprenne ce qui lui arrive et puisse, en s'aidant dudit modèle, profiter des évolutions probables qui lui sont favorables et esquiver celles qui lui sont néfastes.

 

 

Que nous apprend l'histoire des sciences (de la connaissance des ressorts et moteurs de l'univers au-dedans de nous et autour de nous) ?

La première époque, antique, faisait des dieux de l'Olympe, les jongleurs des événements selon leur propre logique, leurs propres amitiés ou inimitiés, selon leur humeur, bonne ou mauvaise, selon leurs rencontres et leurs propres sympathies ou antipathies. C'était l'ère du mythologisme (ou les caprices divins faisaient office de lois de la Nature) ...

Avec le christianisme, le monde se réduit à n'être plus qu'un jouet dans les mains du Dieu unique qui lui avait assigné la "Loi du Salut" : vivez bien selon mes commandements et la vie éternelle vous sera offerte pour toujours, après votre trépas (trépas = passer à travers, passer au-delà).

C'était l'ère du messianisme (où le miracle faisait office de lois de la Nature).

 

Avec la Renaissance et l'émergence de l'intelligence humaine devenue autonome, de grands noms comme Spinoza, Leibniz, Pascal, Descartes, Galilée, montrèrent que l'on pouvait concevoir le monde comme un vaste ensemble d'objets (des "Briques élémentaires universelles et naturelles"), interagissant entre eux au moyen de "Forces élémentaires universelles et naturelles", exprimant leur affinités plus ou moins fortes, plus ou moins sensibles, et ce, selon des "Lois logiques universelles et naturelles", transcriptibles en langage mathématique (le langage universel).

Toute cette période qui accompagne la Modernité et va de 1500 à 2050, a connu l'explosion des sciences exactes (exactes parce que mathématiques) et leurs nuées  de retombées technologiques qui ont permis l'explosion immense de l'économie, de l'industrie, de l'emploi, de la qualité et de l'espérance de vie.

La promesse n'était plus "la vie éternelle", mais "le progrès de la vie sur Terre". Les philosophes des sciences  appliquent à la science moderne une série de prédicats qu'il convient d'avoir en tête pour comprendre la suite ...

La science moderne est analytique : elle explique le compliqué comme étant un assemblage, plus ou moins sophistiqué, d'élémentaires nommés "particules élémentaires" (protons, neutrons, électrons, noyaux, atomes, cristaux, molécules, cellules, tissus, organes, organismes, clans, tribus, etc ...). Cette démarche analytique est dite "réductionniste" (elle réduit le tout à un assemblage de ses constituants élémentaires, et part du principe que le Tout est l'exacte somme de ses parties). En ce sens, on dit aussi de cette démarche analytique, qu'elle est "assembliste". Elle est dite aussi "déterministe" en ce sens qu'elle postule que le même système, plongé dans le même environnement et subissant les mêmes tensions que son congénère, suivra exactement la même évolution que celui-ci, et de façon tout-à-fait identique et prévisible.

Après le mythologisme et le messianisme, voici donc le mécanicisme : l'univers est une vaste machine qui n'est qu'un assemblage de "pièces" ayant chacune leur fonction et leur comportement prédéterminé par leur nature même.

 

La seconde moitié du 20ème siècle, acta l'effondrement de la Modernité et de ses modèles hérités de la Renaissance après être passée par un siècle d'humanisme (le 16ème avec Montaigne), un siècle de rationalisme (le 17ème avec Descartes, Leibniz, Pascal, Spinoza), par un siècle de "criticisme" (le 18ème avec Kant, Montesquieu, Hume, Hobbes, Locke, Jacobi, Mendelsohn, Newton, Laplace ... et quelques comiques français), et par un siècle de positivisme (le 19ème avec Comte, Mach, Renan).

 

Que s'est-il donc passé ? Trois révolutions ...

 

Primo : la révolution quantique (à partir de 1918 avec Niels Bohr) : il n'existe pas de briques élémentaires et immuables, constitutives de la Nature ; ce que l'on prenait pour les "pièces du Lego universel" n'étaient que des apparences locales

et momentanées, des "bulles" dans le champagne cosmique ou des "vagues" à la surface de la mer. Elles se font et se défont l'une l'autre selon des lois probabilistes et dans un contexte plus ondulatoire que particulaire.

 

Secundo : la révolution relativiste (à partit de 1915 avec Albert Einstein) : le temps et l'espace ne sont pas des contenants éternels, intemporels et immuables, mais bien des référentiels conventionnels humains permettant de classer les événements observés les uns par rapport aux autres.

 

Tertio : la révolution thermodynamique brisa net le dogme de la réversibilité du temps, de la démontabilité des ensembles en leurs composants et du déterminisme des processus.

Coupez un corps vivant en ses petits organes et tentez ensuite de le remonter vivant, est clairement impossible : dans le Réel, le Tout est beaucoup plus que ses parties car, outre les supports physiques qui le constituent, ce sont les processus relationnels entre eux qui jouent le plus grand rôle et ceux-ci, ne sont pas démontables et remontables (une tête coupée ne se recolle pas, une amitié bafouée et saccagée ne guérit jamais).

Cette troisième révolution scientifique, pousse la physique dans une impasse ; il faut alors se mettre à la reconstruire autrement (malgré les immenses résistances qu'on lui oppose dans le camp des technologues, des psychologues, des cartésiens, des idéologues, des managers, des médicastres, des politiciens, etc ... Bref de tous ceux qui jouent au Lego à longueur de temps en plaçant des billes dans des cases.

 

La physique des processus complexes.

 

En réponse à l'effondrement des sciences "mécanicistes" dites "modernes" (nées à la Renaissance et en plein chaos aujourd'hui), il faut clairement affirmer que le cosmos n'est pas une mécanique :

 

  • il est un organisme unique, unitaire et unitif (une Unité effective atemporelle), globalement Vivant et totalement irréversible ;
  • qui est doté d'un projet d'accomplissement de lui-même (son Intentionnalité) et qui, pour ce faire, génère des processus étagés en "poupées russes" intriquées (cfr. Alfred North Whitehead) ;
  • qui s'engendre, à cette fin, des ressources (une Substantialité) dont tout procède et qui s'exprime en termes de prématière ondulatoire, de protomatière particulaire de la matière tangible ;
  • et qui se donne de lois, règles et normes (sa Logicité) afin de dissiper optimalement les tensions produites par les multiples bipolarités qui la composent (cfr. les structures dissipatives d'Ilya Prigogine) ;
  • in fine, cette Unité, cette Intentionnalité, cette Substantialité et cette Logicité convergent vers un processus cosmique de Constructivité : construire l'accomplissement du Tout en passant par une multitude d'accomplissements partiels, momentanés et locaux, qui sont censés contribuer optimalement à l'accomplissement du Tout. Tout ce qui existe est un processus particulier émergeant du processus cosmique et destiné à contribuer optimalement à l'accomplissement de celui-ci ; un processus particulier lui aussi doté de la Substantialité, de la Logicité, de l'Unité et de l'Intentionnalité universelles.

 

A la Modernité messianique du "tout s'assemble" au moyen de briques , fait suite la Noéticité eudémoniste du "tout s'accomplit" au moyen de processus fluides plus ou moins compacts.

 

Le problème de bipolarités.

 

Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Pourquoi ce qui existe, évolue-t-il plutôt que de rester ce qu'il est, tel qu'il est ?

Pourquoi ces évolutions processuelles prennent-elles telle forme plutôt que telle autre ?

La réponse se cache derrière la notion de "bipolarités" ...

La physique mécanique connaissait certaines de ces bipolarités, mais ne s'en inquiétait pas plus que cela ; gravitation et expansion, matière et vide, associations moléculaires ou dispersions atomiques, charges électriques positives et négatives, pôle sud et nord de tout aimant, activité galactique et passivité du vide intergalactique, sexes mâles et femelles, ... et surtout, cette bipolarité qui les contient toutes, entre entropie (l'ordre par la dilution et la dissémination) et néguentropie, (l'ordre par l'association et la construction).

Toutes ces bipolarités font partie, dans leur principe, de l'essentialité du Un primordial qui, sous leur pression, va enclencher le processus cosmique dans la temporalité.

 

Aujourd'hui, ce que l'on sait et comprend, est :

 

  • que tout est processus et qu'il n'existe aucune "brique" ou "force" ou "loi" élémentaires gravées dans l'airain de la perpétuité ;
  • que l'Un cosmique est travaillé par une Intentionnalité dont les voies oscillent perpétuellement entre le "Mieux " (qualitativité) et le "Plus" (quantitativité) ;
  • qu'il cherche, en toute occasion à établir (temporairement) l'optimum dialectique (tant localement qu'holistiquement) entre ses deux pôles qui, donc, engendrent des tensions qu'il convient de dissiper optimalement, notamment en passant "vers le plus haut", c'est-à-dire par des sauts de complexité traduits par l'émergence de configurations innovantes et novatrices (la Matière, la Vie et la Pensée, ... ou l'atome, la molécule, la cellule, l'organisme, la tribu, et ...)

 

La complexité est intrinsèque au cosmos et non pas une complication accidentelle – et passagère – due à un imbroglio chaotique local. La complexité, au fond, revient à exprimer que tout est dans tout, que tout interagit avec tout, que tout est cause et effet de tout, non pas par hasard, mais parce que l'univers est une unité unique, unitaire et unitive, et qu'il est en quête de tout chemin susceptible de parfaire son accomplissement.

 

*