Mathématique et Réel
Les mathématiques - surtout dans leur application au champ de la physique … ou, faudrait-il dire, depuis leur mainmise totalitaire sur la physique - ont renouvelé la vieille querelle médiévale des universaux entre nominalisme et idéalisme[1] : les concepts et structures mathématiques sont-ils le langage de Dieu ou la pensée de l'homme ? Autrement dit : les mathématiques se découvrent-elles ou s'inventent-elles ?
Il est facile de voir que, dans le réel, rien n'est rigoureusement dénombrable puisque tout est unique, rien n'est rigoureusement ni droit, ni triangulaire, ni circulaire ou conique, puisque tout, dans le réel, est tordu, torse, tourmenté, tourbillonnaire, turbulent, bref : irrégulier ; donc, dans le réel, rien ne correspond aux idéalisations des mathématiques et cela tranche, un bonne fois pour toute, la querelle : les mathématiques sont des inventions humaines et n'ont rien ni d'absolu, ni de divin. Elles tentent seulement et avec bien du mal d'approximer la réel lorsque celui-ci est suffisamment rudimentaire pour se laisser prendre dans ses moules.
Les mathématiques sont le langage de la régularité et de la équivalence, alors que tout, absolument tout, dans le réel est irrégulier et unique.
Mais la question demeure ouverte : peut-on imaginer d'autres langages, plus riches, plus élaborés, qui puissent représenter le tout du réel sans en dénaturer ni en réduire la complexité à grands coups d'idéalisation ?
Le paradoxe des mathématiques est que sa grande rigueur intrinsèque l'empêche de s'appliquer rigoureusement à quoique ce soit de réel puisque le réel, lui, n'est pas rigoureux, qu'il improvise, s'adapte, se tord et se blesse pour poursuivre son chemin vers plus de lui-même.
Le réel n'est mathématisable qu'à toute première vue … et vu de loin ! Comme les anneaux de Saturne ne sont de beaux anneaux bien elliptiques et bien lisse et bien plat qu'à première vue et vus de loin ; en fait, Saturne n'est pas une jolie sphère mais une boule de gaz dense et ses anneaux sont constitués d'innombrables particules de glace et de poussière dont la taille varie de quelques micromètres à quelques mètres.
Marc Halévy, 6/10/2010