Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Un monde sans publicité

La publicité est aujourd'hui la forme la plus obsolète de la communication. Son audience (rémunératrice) s'épuise. Les slogans ont beau clignoter sur nos écrans : l’œil zappe, le cerveau décroche, l’intelligence s’enfuit. Comme tout système qui naît, se déploie et meurt ... après 80 ans de service servile, la publicité décline. Cessez donc le télémarketing acharné, il n'est plus qu'une trace du passé, une ombre de méthode, la preuve que l'entreprise ou le produit concerné n'a pas encore passé le cap du nouveau siècle.

La publicité n’est pas la communication, elle en est une de ses formes, une de ses filles : elle utilise ses canaux et fonctionne sur la même modalité : l’interaction. Bien sûr, la question vient de nouveau : de quelle interaction parlons-nous ? Effectivement, aujourd’hui, nous ne sommes plus dupes quant au caractère manipulatoire de la publicité. Les mouvements « anti-pub » et plus récemment, les attitudes de rejet de certains groupes sociologiques comme les « creatifs culturels »[1] font légions. L’agression vécue est de moins en moins supportée, voire de plus en plus insupportable pour de plus en plus de personnes. La publicité fonctionne grâce à la masse et la masse est en cure de régime. Elle se disloque. La chute des mass médias le confirme. La crise exacerbe cette conviction : la publicité est devenue la forme la plus indécente de la communication et visiblement sur son déclin. Si elle s’agite encore, ce  sont les derniers soubresauts, une ultime tentative de survie. Son audience (rémunératrice) devient fantomatique. Elle a beau clignoter sur nos écrans, l’œil zappe, le cerveau décroche, l’intelligence s’enfuit. Bientôt son parterre sera vide, vide de celles et ceux susceptibles de payer son show. Car être payée, voilà son seul objet. L’art dont certains ont voulu la qualifier est une intention marginale. Le fric est son mobile central, son ultime objectif. Disons-le platement, ce n’en sera que plus clair. La promesse « Perrier, c’est fou ! » a fait vendre des milliards de bouteilles. Mais savez-vous « fou de quoi exactement ? ». Le prix, monsieur, le prix était fou, pour de l’eau, pour l’époque ! Vendre une eau si chère paraissait folie aux pubars (sic) eux-mêmes. C’en est devenu le slogan. Perrier avait résumé là la promesse de la pub : faire payer plus cher quelque chose qui vaut moins. 

L'anti-pub a 80 ans !

Les publicitaires, ceux qui vivent de cette vache dont le lait se tarit, hurleront de lire ces lignes, et pourtant, l’évolution va en ce sens et leur honnêteté intellectuelle ne pourra que confirmer. Les mouvements personnels et collectifs anti-pub se sont accélérés, approfondis et amplifiés, ces vingt dernières années, en même temps que la publicité s’est déployée au maximum du potentiel médiatique, au-delà même de toutes frontières réelles depuis l’avènement du web début des années ’90[2]. L’anti-pub et la pub se répondent, en phase, depuis quatre-vingt ans déjà. Dans les années trente, un critique littéraire anglais du nom de Leavis lança une première croisade contre « l’abrutissement » pratiqué par les médias et la publicité. 

Lorsque j’étais étudiante, dans les années quatre-vingt, être ‘up to date’ consistait à s’empiffrer de pubs à la chaîne durant les fameuses bruxelloises « Nuits des publivores ». Nous ne nous sentions nullement concernés par cette « publiphobie » épinglée vingt ans plus tôt par la littérature, ni spécialement interpellés par des personnalités comme Simone Weil, Michel Serres, Jean Baudrillard, Guy Debord, Jean Tessier, Jean-Jacques Sempé et même Jean Yann avec son film « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », peu ou prou ralliés à la cause ‘anti-pub’. Le système même, le Ministère de l’Ecologie de la République française créa l’autocollant « anti-pub »[3]. Le but se limitant à la réduction des déchets, il n’y avait pas de quoi fouetter un chat. Et pourtant, sans s’affoler, il y avait déjà lieu de se questionner : depuis le Front de Libération du panneau-réclame (Californie, 1977), en passant par les panneaux-affiches et les manifestations de ras-le-bol, les logiciels anti-pub (à ne pas confondre avec les anti-spams), les listes oranges voire rouges, le adskipping[4], les journées sans achat lancées par le Canadien Ted Dave avec son slogan « enough is enough » (1992), les magazines y consacrés (Adbousters, Publiphobe, Casseurs de Pub, Décroissance, etc), jusqu’aux nombreuses associations (le Billboard Liberation Front fin des années ’70, Les humains associés fin des années ’80, Antipub 82RAP pour « Résistance à l’agression publicitaire »[5] début des années ’90, l’association Casseurs de pub[6] en 1999, le Collectif des déboulonneurs en 2005, et plus récemment VAP pour «Vigilance, Action, Pub »[7]) ou les mouvements de Simplicité volontaire relayé par une foisonnante littérature[8] et de nombreux réseaux relayés sur les sites web[9]. Tous, tout accusent … et réclament des garde-fous. 

Sortie de ma torpeur de ce magnifique monde de la communication, version «Walt Disney », je me questionne (enfin). Mais que reprochent-ils donc tous à cette publicité ? Rien de plus, rien de moins que l’invasion des espaces public et privé, l’emploi de techniques invasives qualifiées d’agressives, la manipulation mentale voire morale, l’influence sur l’éducation, l’avilissement des masses, son coût exorbitant et son inutilité notoire, et à travers tout cela… sa nature intrinsèque. Car la publicité consiste bien à promouvoir la vente d’un produit ou d’un service en exerçant sur le public une influence, une action psychologique afin de créer en lui des besoins et surtout des désirs. Au fil du temps, elle a plus que contribué à faire de l’humain un consommateur, un être dépendant. Parler de mutant serait même approprié. Elle a engrossé les masses, lui transmettant une maladie infectieuse, qualifiée par certains de peste ou de choléra sinon de pollution ou d’addiction. Un état qui s’est glissé sournoisement, qui s’est inscrit profondément au cœur même du fonctionnement de la société. De la société qui l’a admis comme un élément de sa nouvelle identité : consommatoire, moderne et fière !

Le pouvoir a tué la communication

Il ne semblait pas y avoir péril en la demeure … Jusqu’il y a peu. Entendez-vous gronder la foule ? « Plus on communique, moins il y a de communication ! » déclare-t-elle, « Trop d’infos tue l’info », « Pas de pub ! » (sur ma boîte aux lettres), « Mon droit à la déconnexion », etc. Déclarations, exclamations, vociférations nombreuses ne passent plus inaperçues tant elles sont nombreuses. Et surtout, une masse qui rejette est une masse qui n’achète plus, qui ne vote plus, qui n’admire plus ! Et donc, ceux qui vivent d’être achetés, élus et admirés ne peuvent plus se parer d’indifférence.

La relation au pouvoir, aux pouvoirs, nous permet de comprendre. Non point de justifier -il y n’y d’ailleurs rien à justifier- mais d’expliquer.

Le processus de pouvoir, tel que décrit par Mintzberg[10] pour les organisations, est éclairant. La définition du pouvoir d’abord : « La capacité de produire ou modifier les résultats ou effets organisationnels ». En cela, la publicité est un pouvoir. Notons également bien chaque terme : « Le pouvoir est fondé sur l’autorité, l’idéologie, la compétence, la politique et leur imbrication conduisant parfois à des situations de domination ». Domination, domestication, domestique. Le pouvoir n’existe donc bien que s’il y a pouvoir à exercer sur quelqu’un(e). Quelqu’un(e) à dominer. Sans public, l’acteur s’efface. S’il s’efface, et faute d’avoir le droit de l’enchaîner, la tentation est grande de renforcer encore les moyens d’influence.  Parmi ces moyens, pour (r)établir le pouvoir donc, Mintzberg pointe : les normes sociales, les contraintes formelles, les campagnes d’opinion et de pression ainsi que le contrôle indirect.  Questions : les normes sont-elles encore socialement partagées ? Les contraintes sont-elles encore d’une formelle puissance ? Les campagnes sont-elles encore d’influence ? Et le contrôle ne devient-il si indirect qu’il ne concerne plus que lui-même? Je fais, comme d’autres, le constat que « faire autorité » est bien plus influent que « détenir un pouvoir » désormais. Pour témoins : le monde politique (premier pouvoir) réduit à utiliser la contrainte (policière, financière, …) et un ersatz de communication. Ce monde-là ne fait plus courir, ni rire les foules. Son parangon devient la presse. Le « story telling »[11] et le « micro-blogging » sont désormais les béquilles sur lesquelles s’appuient les politiciens pour (dé)montrer qu’ils se tiennent (encore) debout.  La presse justement, troisième pouvoir, est elle aussi en mutation profonde, non par choix mais par tentative de survie. Avant, les crieurs publics attiraient l’attention de la foule ; désormais, c’est la foule que les crieurs publics écoutent. Enfin l’économique, deuxième pouvoir, ne sait plus que faire pour convaincre les clients d’acheter, les fournisseurs de livrer, les partenaires de participer, les collaborateurs de bosser, les actionnaires et les banques d’investir, … Il y a comme un appel aux abois dans ce monde -de ces trois mondes en particulier, de ces trois sphères de pouvoir-, que celles et ceux qui écoutent plus qu’ils ne parlent, peuvent clairement entendre.

Si les médias, les entreprises et les systèmes politiques n’y prennent pas garde, ne transforment pas radicalement leur manière de communiquer, et donc leur manière d’être, ils vont se voir entraîner dans la même faillite que celle de la publicité. Mais soyons clair, l’affaiblissement de ces trois pouvoirs n’est pas liée à l’affaiblissement de la publicité. Ils glissent ensemble le long de la même pente car ils sont nés, ont grandi et vivent de la même souche, d’un même modèle, d’un même paradigme … en train de s’épuiser. Il n’y pas de trahison de la part de la publicité. Je la stigmatise uniquement pour aider à voir la faillite du système de manipulation.  Le pouvoir a créé son contre-pouvoir, ce qui est sain. L’appeller « résistance culturelle », « anti-pub », « subversion » (mot valise formé de « subversing » et « advertising ») ou « ras-le-bol », est du pareil au meilleur. Cela revient à déclarer la fin d’un modèle.

La fin d'un modèle

Pourrions-nous donc imaginer un monde sans publicité ? L’imaginer est aisé. Cela entraînera naturellement la fin de certains métiers, le recyclage de nombre de personnes et nécessairement la création de nouveaux systèmes informationnels et rétributifs. Un monde sans publicité est possible, en théorie et en pratique. Mais comme le système ne veut pas couper la branche sur lequel il est assis, il ira au bout de lui-même, au détriment de celles et ceux qui croyaient se protéger en le maintenant en l’état. Autant anticiper si faire se peut, dirait le sage.

Mais voudrions-nous d’un monde sans publicité ? D’un monde exempt de cette part (énorme) de rêve distillé en continu ? Sans ces incessants appels à consommer pour nous rappeler que nous existons ? Sans ces étoiles filantes qui excitent nos neurones sous addiction ? Une fameuse cure de désintoxication s’imposerait pour beaucoup. Une cure possible ; je l’ai faite, d’autres aussi. Premier acte difficile (mais salutaire) : fermer le canal télévisuel. Le reste suit assez naturellement. Certes, cela demande force individuelle contre, ou plutôt, au-delà du collectif encore accro. Refuser la norme exige une certitude, une conviction intérieure qu’une minorité est actuellement capable d’assumer. Pourra-t-elle faire basculer la norme ?

Enfin, voulons-nous toujours d’un monde communicant ? Certains préfèrent la rupture et s’enferment dans leur bulle. Autisme cependant réservé à une infime minorité disposant de ressources matérielles et intellectuelles suffisantes. Mais globalement, tout le système, et chacun de ses membres, appellent à communiquer. Il suffit de regarder le monde à travers Internet pour finir de s’en convaincre. Oui pour communiquer donc, mais autrement. Car le modèle ne donne plus satisfaction. Au moindre soubresaut, l’entreprise ferme le robinet budgétaire, voire de confiance, de la communication. A la moindre faiblesse, le système politique ouvre, quant à lui, toute grande la vanne de la communication. Le second faisant payer la facture par des tiers, l’acte est plus aisé.  Pourront-ils trouver le juste équilibre ?

Le monde est-il devenu fou à l’image de l’eau de Perrier qui s’en est vendue d’autant mieux ? Non point. Le monde est ce qu’il est. La communication est le fruit de la société de consommation, son expression, une de ses modalités de fonctionnement. Elle est intimement liée au XXème siècle de la (sur)production ; la croissance y étant la norme et la consommation, la jubilation. Mais voilà que ce siècle est fini. Nous avons tant festoyé que le réveil s’avère douloureux. Secrètement, nous avons souhaité cette fête sans fin ou d’une fin qui n’en soit pas une, à la Hollywood : « … et ils furent heureux avec beaucoup d’enfants ». Désenchantement, la fête est finie.

Le XXème siècle fut celui de la société industrielle, matérielle, capitaliste. Son paradigme était articulé autour du progrès (par la science et les technologies), de la croissance (par l’argent et la conquête de territoires) et du pouvoir (par la domination et l’influence). Un de ses leviers les plus forts : la communication mécanique, instrumentalisée et d’influence.

Le XXIème voit naître un nouveau paradigme : celui de la société de la connaissance, noétique où les talents et les informations sont les ressources, les valeurs centrales. L’immatériel[12]  y prend le pas sur le matériel, la qualité sur la quantité, l’authenticité sur le rêve, l’autorité et le réseau sur le pouvoir. Son levier ne peut donc plus être la communication du siècle précédent. Serviteur d’un modèle, rien de plus, rien de moins, elle doit se plier au paradigme présent.

Vu d’ici, du XXIème siècle débutant, la publicité semble bien être l’expression la plus indécente de la communication. Celle de la drague, du temps où draguer et narguer se confondaient. Elle était agression, instrument, pression, … et ce siècle n’en veut plus. Ainsi, en toute logique et sans parti pris idéologie aucun, je peux vous annoncer la fin de la publicité, la transformation de la communication.

La communication s’est inspirée de sa fille, la pub, comme ces mères dans la quarantaine jouant aux lolitas, piercing au-dessus du nombril. Soyons honnêtes, même et surtout entre professionnels. La communication externe s’est largement inspirée des pratiques publicitaires au point de faire passer la forme avant le fond : l’événementiel pour impressionner, les mondaines relations publiques pour conforter les « VIP » dans leur sentiment d’humains privilégiés, les séminaires de team building à la chaîne pour créer l’illusion de l’équipe, les voyages d’agrément plus que d’affaire, les (fausses) promesses des discours, les déclarations lisses où « tout va bien dans le meilleur des mondes », la confusion entre marketing et communication, la montée en puissance (et en carrière) des « jeteurs de poudre aux yeux »,  … Sérieux s’abstenir ! Le monde est un spectacle et le clown triste rit. J’exagère à peine. En interne, la communication s’est déontologiquement voulue « éthique »[13] dans le sens de la transparence. Mais les journalistes d’entreprise savent que le pouvoir (dont ils ne sont pas) a le plus souvent rendu impossible une sincère interaction. Et ceux de la presse publique sont bien conscients de l’omnipotence des actionnaires.

La communication a donc trop fréquemment privilégié l’emballage, privé les personnes d’une relation sincère, assertive, adulte-adulte diraient les psychologues de l’analyse transactionnelle. Elle s’est repliée sur le format du journal, les templates (patrons, standards graphiques) de ses sites web, le prestige des titres de docteur honoris causa (faute de prix Nobel), l’orchestre réputé qui anime la fête, le logo inefficace mais qui fait plaisir au patron, le lobbying de couloir, la joliesse d’une campagne d’affichage, … Elle s’est soumise au pouvoir et le pouvoir l’a trahie. La communication en a perdu ses lettres de noblesse originelles. Mais pouvait-elle faire autrement ?

Ce livre ne veut pas refaire l’histoire, il va de l’avant. Il tentera de comprendre et de proposer une après-communication, mieux adaptée au monde complexe du siècle présent. Une « communication » qui se cherche un nom.

Il est structuré en trois parties : d’abord comprendre (le changement de paradigme), ensuite conceptualiser (un nouveau modèle), enfin appliquer (une méthode).

Il est à la fois un chemin et un point de départ, une montagne à gravir et un pont entre deux rives.

Entre réflexion et action, chacun y posera sa pratique.

Dominique ANNET

Cet article introduit le livre "L'après communication. Un modèle et une méthode pour le XXIème siècle : la syntonie", D. Annet, Ed. Dangles, 2010



[1] Voir « Les créatifs culturels », op.cit.

[2] Voir à ce sujet, mon livre précédent : « La pieuvre informatique ».

[3] http://www.ecologie.gouv.fr/stop-pub.html

[4] Le adskipping est une fonction de filtrage des publicités intégrée dans certains enregistreurs vidéos.

[5] http://antipub.org

[6] http://www.casseursdepub.org

[7] http://www.vigilanceactionpub.org

[8] « ABC de la simplicité volontaire » (D. Boisvert, Ed. Ecosociété), « La décroissance » (N. Georgescu-Roegen, Ed. Sang de Terre), « Eloge de la simplicité volontaire » (R.-M. Hervé, Ed. Flammarion), « L’Art de la simplicité » (D.Loreau), « La simplicité volontaire » (S. Mongeau, Ed. Ecosociété), « Vivre simplement pour vivre mieux » (Ph.Lahille, Dangles), etc.

[9] www.simplicitevolontaire.org (RQSV, réseau québécois pour la Simplicité volontaire) ; www.decroissance.org (IEESDS, Institut d’études économiques et sociales pour la décroissance soutenable) ; www.decroissance.info (plate-forme collaborative pour les objecteurs de croissance) ; www.revolution-lente.com (site de compilation d’informations, de conférences, d’articles) ; etc.

[10] Voir « Le pouvoir dans les organisations », op.cit.

[11] L’art de raconter une histoire pour convaincre.

[12] Au sujet de l’économie immatérielle, deux livres de Marc Halévy (op.cit.) à lire absolument.

[13] Voyez les « Codes de déontologie » des journalistes.

 
 
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