La Force d'Intention
La physique des systèmes et processus complexes (dont la systémique est le volet technique) repose sur quelques principes fondamentaux simples dont le premier intéresse la spiritualité. En effet, la théorie montre qu'un processus complexe, quel qu'il soit, est mû par une intention immanente et universelle : celle de s'accomplir en plénitude c'est-à-dire d'aller au bout de tous ses potentiels et de réaliser tous ses possibles.
Cela est vrai pour l'univers pris dans son ensemble comme un tout, cela est vrai pour les atomes au sein des soupes moléculaires, cela est vrai pour les sociétés et civilisations humaines, cela est vrai pour les microcristaux au sein des structures dendritiques. Cela est aussi et bien sûr vrai pour chaque être humain, ce qui ouvre la porte à une convergence entre la physique complexe et toute démarche initiatique.
En effet, cette intention immanente universelle qui sculpte tous les processus réels, se place en amont de toute manifestation matérielle. Cette intention, pour se réaliser, se crée de l'espace, du temps et de l'énergie (donc de la matière qui n'est que de l'énergie encapsulée). C'est assez dire que la notion d'intention, en tant que moteur immatériel du cosmos, fonde un spiritualisme philosophique à l'opposé de la vulgate matérialiste commune. Elle est la Logos cosmique, elle est donc, en somme, le Grand Architecte de l'Univers qui pousse chaque chose, chaque être, de l'intérieur, à se réaliser pleinement, à s'accomplir donc.
On perçoit facilement un effet de "poupées russes" puisque ce principe intentionnel meut autant la particule dans l'atome que celui-ci dans la molécule ou le cristal, que cette molécule dans la cellule, et celle-ci dans les tissus et le corps de l'individu qui est mû par elle à s'accomplir intérieurement dans sa spiritualité intime, et extérieurement dans son humanité fraternelle, culturelle et sociétale.
Ainsi, toute démarche initiatique authentique tend à révéler à l'initié sa propre spécificité intentionnelle. Si l'intention universelle est de s'accomplir en plénitude, elle prend, pour chacun, une coloration unique et particulière qu'il s'agit, d'abord de conscientiser, ensuite de formuler, enfin de réaliser. On retrouve ainsi les trois étapes qu'indiquent les trois grades de la Maçonnerie bleue.
On pourrait parler de "vocation" : ce qui "appelle" du dedans, du plus intime de l'âme (l'âme étant, étymologiquement, ce qui "anime").
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Il est un second pilier de la physique complexe qui interpelle la spiritualité : celui de l'accumulation du temps. En effet, le temps ne passe pas, mais il s'accumule. Le passé ne passe pas. Le passé s'accumule "sous" le présent comme le bois de l'arbre s'accumule, cerne après cerne, sous la couche active de l'aubier qui, seul, est vivant. Ainsi l'univers "pousse"-t-il comme cet arbre, son "présent" n'étant que la fine couche active et périphérique qui entoure le bois de tout son "passé". C'est assez dire que cette conception révolutionne totalement notre relation au temps et à la mémoire car, ce "bois" universel sous le présent, garde intact et éternellement la totalité de tout ce qui s'est passé. Il constitue la mémoire cosmique où l'existence de chaque chose et de chaque être reste intégralement inscrite à jamais et sera éternellement revécue comme telle.
Spirituellement et initiatiquement, cette conception entraîne deux conséquences majeures.
La première est la prise de conscience et la mise en œuvre de cette idée simple et incroyablement profonde qui veut que chacun sculpte, à chaque instant, sa propre éternité, sa propre vie éternelle. Toute joie vécue, sera revécue infiniment, mais aussi toute laideur, toute souffrance, toute honte. Chacun fabrique, à chaque instant, ses propres paradis et enfers éternels. Nietzsche avait appelé cela : l'éternel retour du même.
Rien ne s'efface jamais de la mémoire cosmique qui est "sous" nous et que nous engendrons, continument, par nos actes, nos paroles et nos pensées. Toute une éthique sourd de ce constat sans appel.
Le processus initiatique, qu'il soit individuel ou collectif, vise à établir et à maintenir au plus haut niveau cette discipline de vie, ce culte de la joie de vivre, cet eudémonisme qui, somme toute, établit l'existence et la mémoire éternelle qu'elle suscite, en Force, en Beauté et en Sagesse.
La seconde conséquence touche la notion de tradition. En effet, puisque le passé est entièrement présent sous le présent, puisque le processus de construction universel est accumulatif, puisque chacun procède d'une logique phylétique (de plusieurs logiques phylétiques faudrait-il écrire puisque chacun appartient à de nombreuses filiations qu'elles soient génétiques, culturelles, ethniques, sociétales, éducationnelles, familiales, fraternelles, initiatiques, etc …), puisque notre liberté individuelle n'a de sens que nourrie par nos racines diverses et multiples, alors la notion de tradition initiatique se révèle comme la manifestation d'une mémoire collective, aussi profondément ancienne qu'hyper-actuelle. Une mémoire vivante qui ne se construit au présent qu'en continuité avec le passé, même lointain.
C'est cette continuité même qui pose la notion maçonnique de régularité et qui explique les déviances irrégulières (GO, DH, etc …) comme des bifurcations c'est-à-dire comme des ruptures de la logique mémorielle.
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En conclusion, force est de constater que la physique complexe appelle une vision spiritualiste du cosmos, vision en tous points similaires à celle du maçonnisme.
Les deux principes discutés ci-dessus, l'intention cosmique et la mémoire cosmique, en maçonnerie, prennent nom de Grand Architecte de l'Univers et de Tradition.
Convergence, donc …
Pour B.J., Grande Loge Nationale Malienne - Bamako
Marc Halévy, Le 09/09/2011