Dire adieu à l'atomisme
Plus on regarde de près la texture cosmique, plus on voit un continuum tissulaire dont les galaxies ne sont que des lieux de concentration (comme des villes dans nos paysages humains qui s'agglomèrent là où des voies d'eau et/ou de pierre se croisent ou se joignent).
Cette texture cosmique ressemble de plus en plus à un tissu organique avec ses fibres, ses nodosités, ses réseaux, ses entrelacs, ses activités …
L'erreur commise a été de s'enfoncer jusqu'au cou dans la mythologie atomiste qui voit, par myopie, autour de nous et en nous, des "boules" (bien rondes, bien lisses, bien immuables) errant dans du "vide" au gré de "forces". Il n'y a ni "boules", ni "vides", ni "forces", ni dans le nanoscopique (le domaine de la physique quantique), ni dans le mégascopique (le domaine de la physique cosmologique).
L'univers est un organisme vivant, complexe, fractal, fini mais illimité, continu, en développement tant volumétrique (expansion) qu'eidétique (complexification) et dynamique (accélération), porté par l'intention d'accomplissement de tous les accomplissables.
La mythologie atomiste (dont dérive la science analytique, réductionniste et mécaniste) est née au 5ème siècle avant l'ère vulgaire, avec Leucippe et Démocrite, pythagoriciens, élèves d'Anaxagore et de Zénon d'Elée, le continuateur de Parménide.
Deux grandes questions tenaillaient la pensée présocratique : quelle est la substance ultime dont tout est fait ? comment concilier le besoin métaphysique d'immuable avec le constat physique d'impermanence ?
Cette deuxième question est au centre de l'aventure atomiste.
Héraclite d'Ephèse avait tranché : il n'y a rien de permanent, tout est mouvement et changement, tout est processus. Face à lui, Parménide et son disciple Zénon posent que l'Être est et ne devient pas, qu'il est absolu et immuable, que mouvement et changement sont des apparences illusoires - voilà le premier et le plus gigantesque des tous les dénis de réalité.
L'atomisme est la tentative de réconciliation du constat physique d'impermanence et du besoin métaphysique d'immuabilité ; le prix à payer en fut l'abolition du monisme substantiel.
Les atomes sont immuables, mais ils se déplacent et s'associent entre eux pour constituer l'éphémère, par contacts et affinités. Entre les atomes ? Le vide.
Ainsi, l'atomisme est un idéalisme (l'Être et l'immuable, au-delà du Réel et de l'impermanent) où les atomes, inaltérables et éternels, prennent la place des Nombres de Pythagore et des Idées de Platon.
Puis la science de la fin du 19ème siècle révéla que ces atomes n'étaient ni inaltérables, ni éternels. Il fallut alors chercher plus loin d'autres briques élémentaires. Ce fut toute l'aventure du modèle des particules élémentaires qui aboutit à une totale impasse : il n'y a pas de particules et elles ne sont pas élémentaires.
L'atomisme est le fil rouge de toute la science classique, tant avec l'astronomie qui étudie les orbes des "corps célestes" dans le vide intersidéral, qu'avec la biochimie ou les neurosciences qui tentent, en vain, de réduire la Vie et l'Esprit à des jeux de macromolécules ou de neurones.
Echecs sur toutes ces lignes !
Pour sortir de toutes ces impasses de plus en plus évidentes, il faut retourner à la source, renoncer à toutes les formes d'atomisme et opter pour le regard d'Héraclite d'Ephèse (qui est aussi celui de Lao-Tseu), dire adieu à tous les idéalismes et enfin étudier l'univers d'un point de vue processuel et holistique.
Ce retour à la source moniste et organiciste est l'enjeu scientifique colossal de notre époque !
Décomposer un texte en ses lettres, les compter, les classer par ordre de survenance, distinguer des voyelles et des consommes et repérer entre elle des affinités et des discordances, tout cela ne dira absolument rien du sens du texte.
C'est pourtant exactement ce que fait la science atomistique avec l'univers.
Le sens est une propriété émergente qui ne peut pas se réduire aux lettres … et c'est pourtant le sens qui fait la valeur du texte, pas ses lettres.
Qui plus est, ce même texte traduit dans d'autres langues, avec d'autres alphabets, gardera son sens global malgré ces transformations. De même, l'univers gardera le même sens malgré qu'on l'aborde avec les langages de la science, de la métaphysique ou de la mystique.
Marc Halévy, 26 janvier 2014.