Tisserand de la compréhension du devenir
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Spiritualiser, c'est voir les âmes …

La spiritualité n'est rien d'autre que le chemin d'accès au monde des âmes. La spiritualisation et la sacralisation de soi et du monde consiste, au travers d'une "grande Âme" qui est une Tradition spirituelle, à "voir les âmes" des êtres et des choses et de deviner, derrière elles, l'Âme cosmique et divine.

Le sens des mots.

Conformément au sens premier du mot latin Spiritus, spiritualiser quelque chose, c'est lui donner ou lui rendre une âme. Mais qu'est-ce qu'une "âme" ? L'étymologie latine répond : un "âme" est ce qui anime (anima) c'est-à-dire ce qui donne une bonne raison d'exister et de vivre, d'évoluer et de s'accomplir. Quand quelqu'un parle de son âme, il évoque, en fait, sa profonde raison d'être, sa vocation ou sa mission personnelles, ce à quoi il tend à consacrer sa vie. Dans "il tend à consacrer sa vie", deux mots sont essentiels : "tendre" qui implique une "tension" et "consacrer" qui pointe le "sacré".

Ainsi, la spiritualisation est une tension intérieure (une in-tension ou "intention") visant la sacralisation de l'existence.

Qui ne possède pas une âme ?

Ou plutôt : qu'est-ce qui ne possède aucune raison d'exister ? La seule réponse possible, pour moi, est "rien". Ce parti-pris mérite d'être explicité. Ma métaphysique pose, avant toute autre chose, que le Réel auquel tout ce qui existe, appartient, est cohérent. Ce principe de cohérence exprime l'idée centrale du sens : tout a du sens, c'est-à-dire, en même temps, signification et direction. La signification indique que tout ce qui existe, accomplit une mission externe qui lui donne sens. La direction indique que tout ce qui existe, évolue dans le "bon sens" vers l'accomplissement de sa vocation interne qui, elle aussi, donne du sens.

Le principe de cohérence qui guide et façonne le Réel, peut prendre d'autres noms comme celui de Logos dans la philosophie grecque, ou de YHWH dans Bible hébraïque, etc …

La cohérence est, en somme, la Loi cosmique ; c'est elle qui donne sens à tout ce qui existe et évolue ; c'est elle l'Âme cosmique, autrement dit l'Âme divine ou l'Anima Mundi.

Si quelque chose existe, c'est qu'elle a une bonne raison d'exister ; c'est le principe de raison suffisante de Leibniz.  En conséquence, tout ce qui existe possède une âme et peut donc être spiritualisé et sacralisé. C'est très typiquement la voie que suivent toutes les traditions animistes comme le shintoïsme japonais, le fétichisme africain ou le chamanisme sibérien.

 

Âme divine et âme personnelle.

Récapitulons : chaque âme personnelle est une expression locale et temporaire de l'Âme divine c'est-à-dire de la puissance d'intention vers l'accomplissement. L'âme est ce qui anime de l'intérieur tout ce qui existe, elle est la raison d'exister, la vocation profonde, la mission existentielle.

Disons-le autrement : la puissance d'accomplissement global du Réel se manifeste dans chaque âme particulière et lui donne une vocation et une mission, une bonne raison d'exister et d'évoluer. Libre au porteur de cette âme particulière de (re)connaître son âme et de la suivre plus ou moins intensément, plus ou moins complètement.

Malheureusement, bien des humains n'ont pas réussi à trouver leur âme qui, dès lors, n'a jamais été activée ; leur vie n'a pas de sens ; elle n'a ni signification ni direction, ni mission ni vocation. Ces gens-là existent, mais ne vivent pas. Ils ne spiritualisent ni ne sacralisent rien et, en particulier, ils ne spiritualisent ni ne sacralisent leur propre vie qu'ils subissent sans la construire. Plus gravement encore, puisqu'ils ne vivent pas leur vie vide, ils se laissent vivre par le monde alentour qui les instrumentalise. Ces zombies qui font légion dans les rues des villes, sont déconnectés de la Vie ; ils ne vivent pas, ils fonctionnent "hors sol".

 

De plus, les humains, dans leur immense majorité, croient qu'ils sont seuls à posséder une âme alors qu'en fait, tout ce qui existe est animé par une raison d'exister, donc par une âme. Hors leur propre nombril, ils ne sacralisent rien. Ils chosifient tout. Ils instrumentalisent tout. Ils sont incapables du moins dialogue d'âme à âme, c'est-à-dire de la moindre contemplation, de la moindre "sympathie" avec le reste qui vit et évolue avec eux ; leur sensibilité est à la masse, complètement neutralisée.

 

L'âme est-elle immortelle ?

Les religions dualistes et platoniciennes croient en l'immortalité de l'âme personnelle comme fragment de "l'autre monde" parfait, incorruptible et immuable. L'âme personnelle, alors, devient le pont entre les deux mondes, l'un céleste, divin, parfait, immatériel et immuable, l'autre, humain, imparfait, matériel et changeant. L'économie du Salut passe alors par la "libération" de l'âme immatérielle, hors du corps matériel, par la mort.

Mais en réalité, il n'y a pas de différence de nature entre le corps et l'âme (ou l'esprit, ou la conscience) ; l'âme et le corps sont deux modalités complémentaires d'une seule et même entité que le Réel fait émerger de lui avant de l'engloutir à nouveau. Aucun être humain ne possède une quelconque existence en soi ; chacun n'est qu'une vague locale et éphémère à la surface du Réel. Le Réel s'exprime et s'accomplit à travers "moi". Je suis cet accomplissement même. Ou, plus précisément : je suis cette contribution locale à cet accomplissement cosmique. Et c'est cette notion de "contribution" qui est mienne, qui peut fonder toute ma spiritualité et toute ma moralité. Elle constitue ma vocation, ma mission, ma raison d'exister.

En fait, les âmes personnelles sont mortelles, seule l'Âme cosmique est éternelle et, même, intemporelle.

L'autre regard sur la spiritualisation de la vie indique que je suis au service de l'accomplissement cosmique. Tout "je" n'a qu'une seule bonne raison d'exister : contribuer au mieux à l'accomplissement du Tout, c'est-à-dire de la Matière, de la Vie et de l'Esprit qui en sont les trois strates constitutives, de complexité croissante.

La vie humaine ne prend sens que si elle se met au service d'une réalité qui la dépasse infiniment.

 

Les "grandes âmes intermédiaires".

Entre l'Âme cosmique ou divine, unique, globale, éternelle et immortelle, et les âmes personnelles, locales, temporaires et mortelles, il existe des âmes intermédiaires, collectives et vivantes, que le langage humain appelle des "Traditions".

Les âmes personnelles qui participent d'une Tradition authentique, participe donc d'une tout autre temporalité.

La spiritualité n'est rien d'autre que le chemin d'accès au monde des âmes. La spiritualisation et la sacralisation de soi et du monde consiste, au travers d'une "grande Âme" qui est une Tradition spirituelle, à "voir les âmes" des êtres et des choses et de deviner, derrière elles, l'Âme cosmique et divine.

 

Marc Halévy

Le 3 juillet 2019

Pour Recto-Verseau et Stéphane Rudaz (s.rudaz@bluewin.ch)