Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Vie, mort et nourriture …

La Vie …

Posons dès l'abord la Vie, avec un grand V : l'ensemble de tous les vivants selon tous les règnes et embranchements de l'arbre biotique des espèces.

Posons aussi ce principe que tous les vivants participent de la Vie et participent à la Vie.

La Vie fonde, nourrit, englobe, enveloppe et transcende chacun des vivants qui participe d'elle.

Posons encore que tous les vivants sont interdépendants et que la Vie est un grand Tout unique, unifié et unificateur.

Posons ensuite que la mort n'est pas le contraire de la Vie ; la mort n'est que l'opposé de la naissance. La Vie, elle, est immortelle !

Posons enfin que la Vie n'est pas réductible, même si elle en procède,  à une alchimie moléculaire … comme l'Esprit n'est pas réductible, même s'il en procède, à une alchimie neuronale ; la Vie procède du jeu des molécules, mais elle ne s'y réduit pas.

 

Et constatons que la Vie s'autogénère en s'autodétruisant ; la Vie est naissance perpétuelle et mort perpétuelle. Le vivant ne vit qu'en se nourrissant de mort. La Vie tue pour survivre. La Vie se nourrit de Vie. Chaque vivant doit tuer pour survivre. Tuer pour vivre est la loi. Et tuer un arbre ou une laitue n'est pas moindre que tuer un agneau, un porc ou un bœuf.

L'antispécisme et le véganisme, aujourd'hui anecdotiquement à la mode, sont des imbécilités majeures. On le sait, les végétaux, comme les animaux, ont une sensibilité réelle et connaissent stress, angoisse, douleur et peur. Pourquoi s'apitoyer plus sur un poulet que sur une carotte ? Et pourquoi s'apitoyer plus sur un agneau que sur un poulet ? Parce que les peluches de notre enfance avait plus souvent l'aspect d'un agneau que d'un poulet ou d'une carotte.

La vache survit en tuant de l'herbe et le tigre survit en tuant de l'agneau. L'une n'est pas plus cruelle ou sauvage que l'autre. L'une est herbivore et l'autre est carnivore … et l'homme est et doit être omnivore ; c'est sa nature biologique, sous peine de carences et de déséquilibres. La Nature en a voulu ainsi. Les idéologies sentimentales et pleurnicheuses n'y changeront rien.

 

En revanche, il est urgent de plaider et de combattre pour une éthique de l'alimentation humaine : tuer le moins possible et tuer proprement, sans souffrance, tant dans le monde végétal que dans le monde animal. Ce n'est pas la mort qui est le problème ; le problème, c'est la souffrance, tant végétale qu'animale. Là est le seul et vrai combat à mener. Il faut condamner la barbarie de certains élevages et abattages d'animaux. Il faut condamner les coupes à blanc dans nos forêts,. Il faut condamner tous les empoisonnements chimiques des végétaux par pur souci productiviste. Il faut apprendre la frugalité, en tous domaines.

L'humain doit être au service de la Vie, et non l'inverse !

 

Et l'animal …

 

On l'aura compris, pour moi, tous les vivants sont sur un pied d'égalité, tous aussi dignes de respect les uns que les autres, qu'ils soient végétaux ou animaux. Mais il me faut rec onnaître que, pour des tas de raisons, aussi loin que l'on remonte dans l'histoire, les humains ont eu des relations particulières avec l'animal. Des relations de diverses natures ; l'animal-chasse, l'animal-élevage, l'animal-force, l'animal-gardien, l'animal-amitié, l'animal-divinité, …

En gros, il faut distinguer trois catégories : l'animal sauvage, l'animal domestique et l'animal sacré.

Profitons-en pour souligner qu'il en va de même avec certains végétaux : l'arbre sacré, la plante magique, le légume ou le fruit cultivés, la fleur sauvage … La grande différence est sentimentale : l'humain, en général, développe plus facilement des relations affectives avec un animal qu'avec un végétal … ce qui, pour l'amoureux des arbres que je suis, m'apparaît on ne peut plus injuste. Il est, pour moi, beaucoup plus grave d'abattre un arbre que d'immoler un agneau.

 

La relation entre l'humain est l'animal passe essentiellement par deux voies : la domestication et la fétichisation. Laissons la voie de la domestication aux agronomes, aux éleveurs, aux dresseurs et aux biologistes ou autres éthologistes. Concentrons-nous sur l'autre voie : celle de la fétichisation …

 

La fétichisation de l'animal …

 

Dans les traditions spirituelles humaines, l'animal a reçu tous les statuts tant totémiques que symboliques, tant comme dieu que comme démon, tant comme augure que comme messager, tant comme porte-chance que comme porte-malheur, tant comme nourriture sacrée que comme aliment honni.

Il y aurait des bibliothèques à écrire sur tous ces thèmes.

Je me limiterai, ici, à un thème très précis : celui des interdits alimentaires dans ma tradition juive, tels qu'ils sont décrits dans les livres de l'Exode et du Deutéronome.

 

En échange de la fidélité de la Maison d'Israël au pacte d'Alliance, Dieu promet bienveillance, prospérité, protection et … victoire sur l'impiété et l'impureté. Cette victoire clôturera une guerre spirituelle contre l'impiété et l'impureté. Qu'est-ce que l'impiété ? La non-reconnaissance du Divin comme source et justification de tout ce qui existe, et comme Logos de tout ce qui arrive. Qu'est-ce que l'impureté ? La non-fidélité à la vocation fondamentale de la Maison d'Israël qui est de combattre toutes les idolâtries et d'inaugurer le règne et la gloire de l'Esprit sur la Terre.

 

Le Sacré doit rester pur. Les lois sur la pureté, nombreuses dans la Torah, portent toutes sur le non mélange, sur la séparation, sur la distinction et le discernement.

La Torah dresse une liste symbolique de ce qui ne peut pas être mélangé, de ce qui doit demeurer bien nettement distinct et séparé. Ainsi, elle condamne :

 

  • la confusion entre le sacré et le profane,
  • la confusion entre le fidèle et l'idolâtre,
  • la confusion entre Maison d'Israël et Nations,
  • la confusion entre les lévites et les douze autres tribus,
  • la confusion entre le Shabbat et les six jours ouvrés,

 

et plus spécifiquement :

 

  • l'homme qui se travestit en femme (et réciproquement),
  • l'homosexualité (la féminité qui se mélange à la masculinité),
  • le bœuf et l'âne attelé sous le même joug,
  • le tissage ensemble de lin et de laine,
  • les mets alliant carné et lacté (le lait qui coule, est la vie et le sang qui coule, est la mort),
  • le pain pascal mêlant farine et levain,
  • et, bien sûr, la confusion entre le Kasher (l'adéquat) et le Tamé (l'inadéquat)

 

Ce dernier point appelle les grandes exigences de pureté alimentaire (la Kashrout - Deut.:14;3-21).

Quelles sont ces règles, du moins les plus importantes ?

  1. Tous les végétaux peuvent être mangés.
  2. Parmi les animaux nageants, seuls ceux munis d'écailles et de nageoires sont adéquats (sont donc interdits les raies, les lottes, les crustacés et les coquillages, entre autres).
  3. Parmi les animaux volants (oiseaux ou insectes), seuls ceux qui se nourrissent exclusivement de végétal sont adéquats (le vautour, le corbeau ou le moustique sont donc interdits, entre de nombreux autres).
  4. Parmi les animaux rampants, aucun n'est permis (ver de terre, serpent, taupe, …)
  5. Parmi les animaux courants, sont seuls permis les herbivores qui ruminent et qui ont le sabot fendu (ainsi le porc, même s'il ales sabots fendus, est interdit parce qu'il ne rumine pas ; le cheval ou le chameau n'ont pas le sabot fendu ; le chat ou le chien ne sont pas herbivores ; etc …).

On comprend que réduire la kashrout (les règles alimentaires) à la seule interdiction du cochon, est une rigolade …

 

Ces règles semblent compliquées, mais elles sont simples au fond : il est interdit de consommer tout ce qui se nourrit de sang ou qui mutile la terre (le ruminant recrache la terre qu'il a avalée avec son herbe, les sabots fendus d'un mouton l'écrase moins que le sabot large du cheval ou du chameau, les coquillages, les crustacés et les poissons plats sans écailles ou sans nageoires vivent dans la vase et l'ingurgitent, etc …).

 

La grande règle de pureté alimentaire revient au respect absolu de la terre et du sang.

Le sang, la Torah le répète souvent, est l'âme de la vie. Quant à la terre, c'est elle qui constitue notre propre chair puisque nous venons d'elle et retournons à elle.

 

Le texte dit (Deut.:12;23) : "Seulement, sois fort pour ne pas manger le sang car le sang, lui [est] l'âme et tu ne mangeras pas l'âme avec la chair". Le mot traduit par "âme" est Néphèsh qui est l'Âme de Vie c'est-à-dire le principe de Vie, le fondement de la Vie qui irrigue tout ce qui vit, tous les vivants.

Autre distinction de pureté, il faut séparer le sang de la chair (c'est une des conditions pour qu'une viande puisse être kasher). Avec le sang qui coule, c'est la vie qui part. Et le sang qui coule doit retourner à la terre qui le reçoit et en réintègre le principe dans le cosmos. Et c'est depuis la terre que "le sang crie" vers le ciel lorsque l'innocent a été tué par le méchant (voir, par exemple, Gen.:4;10).

 

Marc Halévy

Pour Recto-Verseau

Le 15 septembre 2019