Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

A propos de "L'Ere des Soulèvements" de Michel Maffesoli

Mon ami Michel Maffesoli, au quatrième de couverture de son dernier pamphlet, "L'Ere de Soulèvements", laisse écrire ceci :

"Dès les années 1980, Michel Maffesoli se fait l'observateur averti et implacable des temps postmodernes. Il annonce un effondrement social porteur d'un paradoxal retour des tribus, ce que prouveront les décennies suivantes. IL pronostique également que, profitant de la fin des idéologies, les élites au pouvoir entendent instaurer un ordre nouveau qu'il qualifié de totalitarisme doux. Ce que démontre l'actualité récente. De l'éruption des gilets jaunes devenus un phénomène international à la contestation globale de la gestion de la pandémie, des grèves émeutières pour contrecarrer le libéralisme mondialisé à la vague d'émotion planétaire suscité par l'incendie de Notre-Dame, le sociologue du quotidien et de l'imaginaire traque, de son œil inégalé, le changement de paradigme que nous vivons. Le règne de la rationalité, de la technicité et de l'individualité agonise convulsivement sous nos yeux. Pour le meilleur et pour le pire, l'ère des révoltes a commencé et ne cessera pas avant longtemps."

Ce livre paraîtra le 6 mai, donc dans deux semaines. Je ne sais donc pas encore ce qu'il contient. Mais si je m'en tiens à cette présentation du quatrième de couverture, me viennent quelques réflexions …

Il est un fait évident que, du fait de la mutation paradigmatique, nous vivons, planétairement, une période chaotique globale. Celle-ci a commencé dans les années 1970 et se terminera vers 2030. Cette chaotisation du monde accompagne, bien sûr, l'effondrement (pas que social) de la Modernité et de ses institutions de pouvoir qui, comme toujours, cherchent à se maintenir en place par divers moyens, tous dispendieux et voués à l'échec. Techniquement, cela s'appelle la "chape de plomb" qui symbolise l'ensemble des dispositifs de déni de réalité qui tentent, en vain, de maintenir en survie l'ancien paradigme déjà sous perfusion et en phase terminale.

Les phénomènes appelés ici "totalitarisme doux" ou "gilets jaunes" n'en sont que deux manifestations parmi beaucoup d'autres et n'expriment que l'ardent désir de statu quo : "ne pas changer de paradigme" est devenu, pour certaines factions sociales, politiques ou idéologiques, un slogan de conservatisme qui vise à maintenir une illusoire "sécurité" systémique qui n'existe déjà plus.

Il faut acter, en revanche, la "fin des idéologies" que rend bien le "ni gauche, ni droite" ou le "en même temps" macronien.

Quant à parler "de la contestation globale de la gestion de la pandémie, des grèves émeutières pour contrecarrer le libéralisme mondialisé à la vague d'émotion planétaire suscité par l'incendie de Notre-Dame", ce sont des épiphénomènes locaux et éphémères plus parisiens qu'autre chose …

En revanche, ce que Michel appelle "le paradoxal retour des tribus" ne fait qu'exprimer un phénomène profond : celui de la transformation radicale des appartenances identitaires et la résurgence des "communautés de vie" (qui doivent rejeter la tentation du communautarisme sectaire et haineux). La chaotisation actuelle fait s'effondrer les anciennes appartenances identitaires : celles liées à la nation, au peuple, à la race, à la religion, etc … qui toutes, étaient des appartenances "macroscopiques" ; les nouvelles appartenances (bien plus microscopiques) sont en train de se définir dans la noosphère, libérées des contraintes de localisation.

Avec les énormes hausses attendues des prix des carburants, avec les progrès accélérés du télétravail qui concerne déjà 80% des activités professionnelles humaines (y compris l'enseignement), et avec les progrès concomitants des techniques de visio-conférences et de visio-réunions, il est probable que chacun choisira de vivre dans le lieu physique qui lui plaît, sans plus tenir compte, du tout, des contraintes liées à l'activité professionnelle.

Cela signera, bien sûr, l'effondrement des grandes villes (et des délinquances qui y sont liées), du nombre des "navetteurs" (et des banlieues où ils sont contraints d'habiter) et des grands immeubles de bureaux (devenus inutiles).

Cela signera aussi le développement d'enclaves (électives et sélectives) de copropriété (aux USA, on appelle cela des condominiums) à la périphérie des petites villes provinciales, voire dans la pure ruralité. Dans ces enclaves, ne seront autorisées à habiter que des personnes qui seront dûment choisies par les habitants-propriétaires selon des critères soit familiaux, soit culturels, soit professionnels, etc …

On pourrait parler de la "(re)naissance de villages d'affinité" : des communautés de vie comme l'ont été, en Israël, les kibboutzim ou les moshavim

 

Il est parlé de la mort de la rationalité, de la technicité et de l'individualité.

La rationalité est mise à mal au profit de l'émotivité, sur les médias sociaux, c'est vrai.

La technicité, au contraire, au travers des technologies essentiellement numériques, avance à toute vitesse et gagne du terrain de façon parfois inquiétante.

L'individualité, quant à elle, se transforme en autonomie collective (ce qui recoupe l'idée des nouvelles "tribus" et des "villages d'affinité").

 

La logique globale mène-t-elle à une ère des soulèvements, des révoltes et des émeutes, je ne le crois nullement : les gamineries de mai '68 ne sont pas duplicables, les effervescences syndicales ne sont plus crédibles et passent d'ailleurs inaperçues, et le "gilet-jaunisme" était en fait mort-né, malgré les tentatives de récupération dont il a fait l'objet.

En revanche, les rétro-activismes (qu'un affreux néo-anglicisme nomme "wokisme") forment, au sein des milieux traditionnellement gauchisants, une fétide fermentation délétère et nauséabonde qui ne cesse d'inquiéter et qu'il faut combattre durement.

 

Marc Halévy

Physicien, philosophe et prospectiviste

Le 22/04/2021